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LA FEMME DU DOCTEUR.

ques et de nobles desseins, il était forcément un jeune débauché désœuvré, toujours prêt à murmurer des mensonges à l’oreille des naïves provinciales. Toutes les histoires d’infamies aristocratiques qu’elle avait lues revinrent soudainement à l’esprit de Mme Gilbert, et vinrent accabler le fils de lady Anna Lansdell. S’il n’était pas la noble créature qu’elle avait cru, — un adorateur poétique et honorable, — il n’était en aucune façon le héros de ses rêves. Elle l’aimait encore et devait continuer à l’aimer en dépit de toutes ses fautes, mais elle ne pouvait plus l’aimer qu’avec crainte et en tremblant, comme une créature superbe mais coupable, qui n’avait même pas une seule vertu à opposer à des milliers de crimes. Des pensées de cette nature se pressaient dans son esprit, tandis qu’elle restait accroupie et sanglotant sur l’étroite barrière de bois du pont et que Roland se tenait à côté d’elle, la regardant avec une expression sérieuse et fâchée.

— Que signifie votre conduite, madame Gilbert ? Cette démonstration de surprise et d’indignation est-elle une petite comédie que vous jouez lorsque vous voulez vous débarrasser de vos amoureux ? Faut-il que j’accepte mon congé, que je vous dise adieu, et que je me résigne à être le niais le plus renforcé qui ait jamais traversé ce pont ?

— Oh ! Roland, — s’écria Isabel ; relevant la tête et le regardant d’un air suppliant, — oh ! Roland ; je vous aimais… je vous aimais tant !…

— Vous m’aimez et vous me prouvez votre amour en me tournant la tête par de tendres coups d’œil et des rougeurs pudiques ; vous me faites croire que j’ai rencontré la femme qui doit ici-bas me rendre la vie