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LA FEMME DU DOCTEUR

absolument indifférente de la direction qu’elle suivait, et pensant, et avec une tristesse indicible, à ses rêves évanouis.

Elle avait été si enfantine, si entièrement enfantine, et elle s’était si complétement abandonnée à ce rêve chéri ! Je pense que son enfance s’envola loin d’elle en compagnie de ce rêve brisé, et que le gris crépuscule de l’âge de femme se leva pour elle, froid et morne, au moment où elle s’éloigna lentement de l’endroit où Roland gisait couché la face contre terre, pleurant sur les ruines de son rêve, à lui. Il semblait qu’à cette heure elle traversât le ruisseau type de Longfellow et pénétrât dans le pays désert et stérile qui commence au delà. Hélas ! comme elle a raison la jeune fille de retarder le plus longtemps possible l’instant où elle doit traverser l’étroite limite ; car le pays, de ce côté-là, est nu et désolé en comparaison des jardins fertiles et des prairies charmantes qu’elle abandonne pour jamais. La doux âge du rêve est fini ; les féeriques compagnes de la jeunesse, si charmantes même lorsqu’elles sont trompeuses, ouvrent leurs ailes éclatantes et s’envolent au loin, et le grave génie du bon sens, — personnage d’aspect sévère, vêtu d’étoffe de laine grise, garantie contre le rétrécissement résultant du séjour dans le baquet de la blanchisseuse, et qui abjure fidèlement la crinoline, — étend la main et offre, avec une brusquerie amicale, mais peu compromettante, d’être le guide et le moniteur futur de la femme.

Isabel devint brusquement femme ; elle vieillit de dix ans à la suite des découvertes amères de cette triste après-midi. Puisqu’il n’y avait personne au monde qui la comprît, puisque lui-même s’était si com-