Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
LA FEMME DU DOCTEUR.

plétement mépris à son égard, il fallait que ses rêves fussent insensés et impossibles à comprendre, sinon par elle-même. Mais ces folles rêveries étaient mortes à jamais. Elle ne pouvait plus songer à Roland comme elle le faisait autrefois. Toutes les rêveries dont il était l’objet n’avaient été que des mirages dérisoires. Il n’était pas le chevalier sincère et fidèle qui pouvait rester éternellement assis à la porte de son ermitage, contemplant tendrement la fenêtre lointaine du couvent qui pouvait être ou n’être pas celle de la cellule de ses amours perdues. Non, c’était une tout autre personne. C’était le hardi et dissolu partisan armé d’une rapière de cinq pieds de long, chaussé de souliers à la poulaine garnis de longs éperons cruels et vêtu d’une cotte de mailles d’acier sonnant avec un bruit de ferraille lorsqu’il traversait le vestibule de son château. Il était l’amant trompeur et méchant qui aurait, en quelque nuit fatale, escaladé les murs de la calme retraite d’Hildegonde emportant malgré ses cris la nonne entre ses bras, sans craindre de la voir, affolée de chagrin, se jeter dans le Rhin à la première occasion favorable. C’était un Faust sans cœur, prêt à écouter les conseils de Méphistophélès et à trahir la pauvre et confiante Marguerite. C’était Robert le Diable, sous les pas maudits duquel tout un cimetière d’esprits accusateurs pouvait surgir à tout moment. C’était Steerforth, le beau, l’impitoyable, l’irrésistible Steerforth, sans un regret pour le cœur brisé de la naïve Emily ou de la noble Pegotty.

Peut-être Isabel n’admirait-elle pas moins Lansdell pour cela ; mais à son admiration se mêlait une frissonnante horreur. Elle était absolument incapable de le voir sous son vrai jour — un jeune homme à disposi-