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LA FEMME DU DOCTEUR

tions affables, désireux de faire aussi peu de mal que possible, autant qu’il se trouverait suffisamment heureux lui-même, et croyant sincèrement qu’il n’y avait aucun mal énorme ou irréparable à s’approprier la femme d’autrui.

Ce soir-là, tandis qu’elle parcourait les sentiers du Midland, les larmes inondaient les joues pâles de Mme Gilbert. Elle ne pleurait pas avec violence, elle ne s’abandonnait à aucun accès de désespoir. Pour l’instant, elle était impuissante à se rendre compte du vide de son existence, maintenant que son rêve était à jamais brisé. Son chagrin n’était pas aussi amer que le jour du brusque départ de Roland. Il l’avait aimée — elle le savait alors ; et le suprême orgueil de cette pensée la soutenait au milieu de son chagrin. Il l’avait aimée. Son amour n’était pas de la nature de ceux dont elle avait lu tant de descriptions et auxquels elle avait cru si aveuglément ; c’était seulement la passion terrible des chevaliers félons, le caprice cruel du méchant seigneur en bottes à revers qu’elle avait vu, si fréquemment vu — grâce à des billets de faveur — des dernières loges du théâtre de Surrey. Mais, enfin, il l’aimait ! Il l’aimait assez pour se jeter à terre et pleurer parce qu’elle l’avait repoussé ; et le méchant seigneur en bottes à revers n’avait jamais été si loin, se contentant généralement de donner des preuves plus visibles de sa colère, telles que l’exécution d’un jugement sur les biens et les castels du père de l’héroïne, ou l’enlèvement de l’héroïne elle-même par des coquins à gages. Quelle chose étrange qu’il arrive toujours que le digne fermier en gilet à fleurs soit en retard pour ses fermages et qu’il soit toujours le tenancier du seigneur dissolu !