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LA FEMME DU DOCTEUR.

Lansdell ferait-il rien de pareil ? Isabel frissonna légèrement en jetant un regard sur le paysage désert, et elle pensa qu’un couple de coquins à gages pourrait bien sortir brusquement d’une haie et l’emporter vers une chaise de poste disposée dans ce but. Isabel se demanda s’il y avait encore des chaises de poste dans le monde. Une étrange confusion de pensées remplissait son esprit. Elle ne pouvait ainsi devenir brusquement femme ; la traversée du ruisseau mystique ne se faisait pas aussi rapidement. Quelques restes des vieilles illusions flottaient autour d’elle et se transformaient simplement. Seule, la main de la sagesse pouvait lui arracher le bandeau des yeux et lui montrer les choses dans leur véritable aspect.

Elle s’assit à la fin pour se reposer sur le dernier échelon d’une barrière agreste et lissa ses bandeaux que le vent de mars avait dérangés. Puis elle rattacha les brides de son chapeau avant d’entrer sur la grande route qui passait de l’autre côté de la barrière. Lorsqu’elle se trouva sur cette route, elle reconnut qu’elle était très éloignée de chez elle et très-rapprochée du village modèle dans lequel Raymond leur avait offert ce modeste festin de thé et de gâteaux et pendant lequel George s’était tenu à ses côtés plaidant sa cause auprès d’elle avec une humilité si profonde. Pauvre George ! Le tranquille aspect de la pelouse du village, les petites maisonnettes, coquettes et propres sous les rayons du soleil couchant, la barrière très-basse, en bois, donnant accès dans le cimetière, — toutes ces choses, si étranges et cependant si familières ramenèrent le souvenir d’une époque qui semblait maintenant indiciblement éloignée. Elle se rappela le vague frisson de plaisir qui avait agité son cœur lorsque le