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LA FEMME DU DOCTEUR

jeune médecin lui avait demandé d’être sa femme. Elle ne pensa pas un instant à ce qui aurait pu arriver si elle avait repoussé sa prière. Elle ne pouvait se représenter libre et Roland la courtisant honnêtement. Elle se l’était représenté comme un être majestueux et éloigné, comme un astre, destiné à être adoré par des fidèles agenouillés lui offrant un encens perpétuel, et absolument heureux par l’éclat radieux de sa personne. Maintenant elle voyait en lui un ange des ténèbres dont la présence apportait le malheur et la ruine. Elle ne pouvait le voir sans exagération ; son imagination était une sorte de verre grossissant à travers lequel elle l’avait toujours vu, — comme une figure vaguement splendide, d’une grandeur et d’une magnificence indécises, baignant dans la brumeuse atmosphère de ses rêveries de petite fille.

On était alors dans la semaine de la Passion, — car, cette année-là, Pâques tombait très-tard dans le mois, et le village modèle excellant sous le rapport de la piété aussi bien que sous celui de toutes les autres vertus, les naïfs habitants se portaient en foule à l’église. Au moment où Mme Gilbert parcourait le chemin conduisant du village au cimetière, les cloches appelaient au service du soir ; et de petits groupes de deux ou trois personnes, des vieilles femmes solitaires, coiffées de chapeaux noirs, passaient à côté d’elle, comme elle se promenait, fort en peine de savoir où diriger ses pas, ou à quoi se décider. Elle était étrangère dans ce lieu, bien que Graybridge ne fût éloigné que de quelques milles ; elle était étrangère, et ce seul motif, dans un lieu aussi circonscrit que le village modèle, suffisait pour exciter la curiosité. Peut-être aussi y avait-il dans la pâleur de son