Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
LA FEMME DU DOCTEUR.

C’était un adieu sérieux ; non pas une querelle d’amoureux d’où l’amour renaît plus vigoureux. C’était une séparation éternelle, car ne lui avait-il pas dit de s’éloigner, — de le quitter pour toujours ? N’étant pas la créature coupable pour laquelle il l’avait prise, elle n’était plus rien au monde pour lui. Il ne demandait pas un culte éternel ; il ne désirait pas qu’elle se retirât dans un couvent, afin qu’il pût se consoler pour le reste de ses jours en contemplant sa fenêtre ; il ne voulait pas qu’elle se couchât auprès d’un réchaud de charbon, la main dans sa main, et qu’elle mourût. Il ne ressemblait pas à ce charmant Henry von Kleist qui emmena son Henriette dans une jolie auberge aux environs de Postdam, qui soupa gaiement avec elle, puis la tua d’un coup de pistolet et se tua lui-même ensuite sur les rives d’un lac voisin. Lansdell ne désirait rien de poétique ou de romanesque, et dans le cours de ses discours passionnés il n’avait même pas parlé du suicide.

Elle pénétra dans le cimetière et se dirigea vers le petit pont sur lequel elle s’était arrêtée, ayant George auprès d’elle. La Wayverne coulait silencieusement sous l’arche trapue et moussue ; le vent avait cessé, et de loin en loin seulement un faible zéphyr agitait les longs roseaux noirâtres comme si les pas d’un esprit invisible, errant dans le crépuscule, les eussent courbés. Elle s’arrêta sur le pont et contempla l’eau tranquille. Si elle avait jamais eu l’intention de se noyer l’occasion était propice. Heureusement pour l’espèce humaine le suicide est une question dans laquelle l’occasion et la volonté vont rarement de conserve. La femme du médecin était très-malheureuse ; mais elle ne se sentait pas assez préparée pour faire le plongeon