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LA FEMME DU DOCTEUR.

de deux cents guinées ; et une fois disparu, le monde ne leur avait pas semblé désert.

Désirait-elle ressembler à ces gens ? Non ! Au milieu de son chagrin elle pouvait s’écrier, comme le poète, qu’il valait mieux l’avoir aimé et perdu que de ne l’avoir jamais aimé. Sa vie n’était-elle pas finie et n’était-elle pas définitivement sacrée héroïne en vertu de son amour et de son désespoir ?

Longtemps elle resta sur le pont, pensant à toutes ces choses, mais fort peu au moyen de regagner Graybridge, où son absence devait commencer à causer de l’inquiétude. Bien souvent, avant cette journée elle avait fait attendre le médecin pour dîner ; mais elle n’avait jamais été absente lorsqu’il le prenait. Il y avait une station au village modèle, mais le chemin de fer ne passait pas à Graybridge ; il n’y avait qu’un vieil et pesant omnibus qui transportait les voyageurs du chemin de fer dans cette localité. Isabel quitta le cimetière et se rendit à la petite auberge devant laquelle George l’avait présentée à son modeste jardinier et factotum. Une femme debout à la porte de l’hôtellerie lui donna toutes les indications relatives à l’omnibus, qui ne quittait pas la station avant huit heures et demie. Force lui était de rester où elle était jusqu’à ce moment. Elle s’en revint donc lentement vers le cimetière, et, lasse du froid et de l’obscurité qui régnaient au dehors, elle se glissa doucement dans l’église.

L’église était très-vieille et très-irrégulière. Il n’y avait que de rares lumières jaunâtres çà et là, près du pupitre, vers les orgues, et auprès de la porte de la sacristie. Une femme sortit de l’obscurité profonde au moment où Isabel entra et la poussa vers un banc, scandalisée de son apparition alors que le service était