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LA FEMME DU DOCTEUR.

toire qui, pour Roland, n’était qu’une exquise légende, thème sublime pour les peintres italiens ou les poètes à l’esprit élégiaque, était, pour M. Colborne, un grand fait indiscutable, écrit sur la face même de l’univers. Il était absolument heureux dans sa foi et dans sa vie, et une influence bénigne semblait rayonner de sa personne et rendre meilleurs et plus sages les hommes et les femmes ignorants et endurcis.

Était-il donc étrange alors qu’Isabel, si dangereusement sensible à toutes les influences, ressentît cette influence comme elle avait ressenti les autres ? Son éducation n’avait pas été religieuse. Dans le ménage de Camberwell, le dimanche était un jour pendant lequel on se levait plus tard qu’à l’ordinaire et où l’on faisait des pâtés et des puddings. C’était un jour associé à des mets savoureux et au journal les Dépêches Hebdomadaires, souillé de bière et emprunté à la plus prochaine taverne. C’était un jour pendant lequel Sleaford dormait longuement sur le canapé, se dispensait de se raser, et chaussait bien rarement ses bottes. Parfois des hommes d’aspect étrange venaient à Camberwell, au crépuscule, le dimanche, pour passer une partie de la soirée à fumer et à boire, en conversant dans un jargon mystérieux qu’on appelait « le langage des affaires » à la maison.

Parfois, pendant l’été, une après-midi quelconque, Mme Sleaford, songeant à ses devoirs religieux, faisait une excursion parmi les plus jeunes membres de la famille et entraînait Isabel et un ou deux garçons au service du soir, dans la grande église nue près du canal. Mais cette assiduité capricieuse au service divin ne produisait que peu d’effet sur Mlle Sleaford. Le plus souvent elle passait le temps à contempler les