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LA FEMME DU DOCTEUR.

Mais pendant ce temps, oubliait-elle Roland ? Non : avec une angoisse et des regrets amers elle pensait à l’homme qui s’était montré aussi impuissant à la comprendre, qu’il lui était supérieur sous le rapport de l’intelligence.

— Lui qui sait tant de choses n’a pas su voir que je n’étais pas une femme dégradée, — pensait-elle avec un naïf étonnement.

Elle ne comprenait pas le scepticisme avec lequel Roland traitait toute chose, et qui avait pour résultat de ne pas voir de différence bien marquée entre le bien et le mal. Elle ne pouvait comprendre que cet homme crût à la légalité de son action.

Mais elle pensait incessamment à lui. L’image de ce visage pâle et plein de reproches, — si pâle et d’une expression si amère, — hantait sans relâche son esprit. Le son de sa voix lui enjoignant de le quitter résonnait perpétuellement à ses oreilles. Il l’avait aimée : oui, si grande que fût son offense, il l’avait aimée et il avait pleuré à cause d’elle. Parfois il arrivait que le souvenir de ses larmes, lui revenant comme un éclair, dispersait au loin sa pureté naturelle, son désir sincère de se bien conduire ; elle voulait partir, se jeter à ses pieds et s’écrier :

— Que suis-je pour que ma vie soit comptée auprès de ton chagrin ?… Qu’importe ce qu’il adviendra de moi, si tu es heureux ?

Il arrivait parfois que l’idée du chagrin de Roland étouffait toute autre pensée dans l’esprit d’Isabel. Jusqu’au jour où il s’était roulé par terre dans un accès de désespoir, elle n’avait jamais conçu l’idée qu’il pût être malheureux à cause d’elle. N’était-ce pas beaucoup qu’il l’aimât d’une façon protectrice et lointaine ?