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LA FEMME DU DOCTEUR.

vieilles, blanchies, usées avant la fin du jour, — lui revinrent en foule, et il rit douloureusement en pensant à l’inutilité de toutes ces perplexités et de toutes ces hésitations, quand l’obstacle, la vraie résistance à ses coupables désirs était , — là et non ailleurs, — sous la forme de la volonté d’une femme naïve.

Il y a des hommes qui n’auraient pas cru l’histoire terminée après cet adieu sous le chêne de lord Thurston ; mais Roland n’était pas un de ces hommes. Il n’avait que peu de force d’esprit ou de vigueur de volonté pour lutter contre la tentation, mais d’un autre côté, il ne possédait que bien peu des qualités qui font le séducteur. Tant qu’il avait été incertain de lui-même et de la durée de son amour pour Isabel, il avait dissimulé assez bien pour jouer passablement le rôle d’indifférent. Tant qu’il eut l’intention de quitter le Midland sans faire le moindre mal, il n’avait vu qu’un péché véniel dans une affectation d’amitié pour le mari de la femme qu’il aimait. Mais du moment que toute hésitation eut disparu devant un projet arrêté, — dès l’heure de son retour dans le Midland, — il n’avait pas caché un instant ses sentiments ou ses intentions. Il avait poussé cette enfant à une action déshonorante, mais il n’avait employé aucun moyen déshonnête. La parole est impuissante à feindre l’amertume de son désappointement. Pour la première fois de sa vie, ce favori de la prodigue nature s’aperçut qu’il existait au monde quelque chose qu’il ne pouvait avoir, quelque chose qui échappait à son désir. Il y avait si peu de temps qu’il avait chanté l’extinction de toute espérance et de toute ardeur de jeunesse en jolis petits vers cyniques, tout étincelants de bribes de français et de latin, d’espagnol et d’italien