Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
LA FEMME DU DOCTEUR

plusieurs fois le voyage de Londres, quittant toujours Mordred seul et à des heures anormales, et chaque fois se promettant de ne pas revenir. Mais il ne pouvait ; une fièvre soudaine s’emparait de lui à mesure que la distance entre le Midland et lui s’augmentait. Elle se repentirait de sa détermination sévère ; elle lui écrirait pour lui avouer qu’elle ne pouvait vivre sans lui. Depuis combien de temps, hélas ! attendait-il cette lettre ! Elle se fatiguerait peut-être tout d’un coup de son existence, et serait assez folle et assez désespérée pour se rendre à Mordred dans l’espoir de le voir. Ceci arriverait pendant son absence ; une chance de bonheur lui serait offerte, et il ne serait pas là pour la saisir. Elle, ses amours, la seule joie et le seul trésor de sa vie, serait là, tremblante sur le seuil, et il ne serait pas là pour la recevoir et pour l’accueillir. Les gens de l’hôtel Clarendon pensaient que Lansdell était devenu fou, tant ses départs de ce confortable et aristocratique logis étaient brusques et inopinés.

En attendant, il ne savait rien de la femme qu’il aimait. Il ne pouvait causer avec ses domestiques et il avait défendu sa porte. Que faisait-elle ? Était-elle encore à Graybridge ? Menait-elle la vieille existence tranquille, assise dans le petit parloir, à l’endroit où il s’était assis près d’elle ? Il se rappelait le dessin du tapis de Kidderminster, les plis mous des rideaux de mousseline, la soie écarlate fanée qui ornait le dessus du piano sur lequel elle avait joué parfois à son intention, avec tant d’indifférence, hélas ! Chaque jour il rendait visite au pont sous le chêne de Thurston ; chaque jour il jetait des provisions de bouts de cigares dans la cascade, en attendant, dans l’espoir bien faible que la femme du médecin viendrait se promener de