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LA FEMME DU DOCTEUR.

avant deux années révolues. Lisez seulement le Voyage sentimental, de Sterne, et le Touriste de Dickens, et vous verrez combien il y a de choses de par le monde pour le voyageur qui sait voir. Lisez l’histoire des excursions pédestres de M. Dickens, puis, ensuite, les délicieuses lettres blasées et misanthropes de William Beckford, vous verrez la différence entre le grand écrivain pour lequel l’art est immense et la vie trop courte, et l’homme de plaisir qui a gaspillé toute la richesse de son imagination pour la fantaisie morbide de Vateck, et dont le talent n’a pas trouvé de but plus digne que de dessiner des plans de fortifications bizarres.

La leçon que Lansdell était condamné à apprendre était très-difficile. Pour la première fois de sa vie, il rencontrait quelque chose qu’il ne pouvait obtenir ; pour la première fois il découvrait ce que c’est que de désirer follement, violemment, un trésor unique entre toutes les richesses de l’univers, et de le désirer en vain.

Ce matin-là, il ne se promenait pas avec le désœuvrement habituel ; il se rendait à l’église d’Hurstonleigh, dans l’espérance de voir Isabel et de s’assurer par lui-même si l’insinuation de Gwendoline avait quelque fondement. Il voulait s’assurer de la chose, mais par-dessus tout, il voulait la voir ; — rien que la voir ; regarder ce pâle visage et ses yeux noirs une fois encore. Oui, quand même elle serait la plus vile et la plus éhontée coquette de l’univers.

Lansdell fut désappointé ce matin-là, car la femme du médecin n’était pas à l’église d’Hurstonleigh. Graybridge eût été scandalisé si M. et Mme Gilbert n’avaient pas assisté au premier service dans leur propre paroisse. Ce n’était donc que le soir qu’Isabel pou-