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LA FEMME DU DOCTEUR.

Le lointain murmure des voix, le bruit des pas, le bruissement des légers vêtements des femmes soulevés par la brise d’été, s’éteignirent à la fin, et un calme de mort tomba sur le cimetière. Tout Hurstonleigh dînait, car c’était un pieux village qui prenait de bonne heure son repas dominical et se nourrissait ce jour-là de viandes froides et de salades vertes. L’endroit était d’une tranquillité excessive et Roland, paresseusement adossé à la muraille moussue, eut tout le loisir de se livrer à ses contemplations.

Quelles étaient ses pensées pendant ces deux longues heures durant lesquelles il resta dans le cimetière, attendant le service du soir ? À quoi pensa-t-il ? À sa vie gaspillée, aux choses utiles qu’il aurait pu faire sur cette terre ? Non ! ses pensées demeuraient avec une persistance fatale sur un thème unique. Il pensait à ce que sa vie aurait pu être si Isabel n’avait pas renversé tous ses plans de bonheur. Il pensait qu’il aurait pu être assis, ce jour même, à cette même heure, sur les rives d’une des plus jolies îles de la Méditerranée, ayant à ses côtés la femme qu’il aimait, si elle avait voulu, si elle avait seulement voulu qu’il en fût ainsi. Et il s’était si complètement trompé, il avait été si aveuglé par sa propre fatuité, qu’il avait pu croire qu’un obstacle venant d’elle n’était même pas à imaginer. Il avait cru qu’il n’avait qu’à poser la chose dans la balance pour décider la chute du plateau.

Il était assis au bord de l’eau écoutant les cloches qui sonnaient lentement dans la tranquille atmosphère. C’était une de ces radieuses journées d’été qui viennent quelquefois à la fin de mai, et le ciel au-dessus de l’église d’Hurstonleigh était sans nuages.