Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
LA FEMME DU DOCTEUR.

ne furent échangées pendant le retour, — ils ne parlèrent qu’à l’aventure des livres et des poètes et des pays étrangers. Lansdell parla à Isabel des endroits les plus remarquables de l’Italie et de la Grèce, des charmants villages sur les rives des lacs d’azur profondément cachés dans les chaînes alpestres, des sommets neigeux semblables à des nuages immobiles — régions charmantes et pittoresques qu’elle verrait un jour ou l’autre, — ajouta gaiement Roland.

Mais Mme Gilbert ouvrit de grands yeux et partit d’un éclat de rire. Comment pourrait-elle jamais voir ces pays ? — demanda-t-elle en souriant. George n’irait jamais là : il ne serait jamais assez riche pour y aller ; et quand même il le serait, il ne se soucierait pas d’y aller.

Tout en parlant, Isabel pensait que, après tout, elle se souciait peu de ces charmants pays ; bien qu’elle y eût souvent rêvé et qu’elle eût souvent désiré les voir, il y avait de cela longtemps, dans le jardin de Camberwell, pendant les calmes soirées éclairées par la lune, alors qu’elle avait coutume de se tenir sur le petit degré de pierre conduisant à la cuisine, les bras appuyés sur la pompe, comme Juliette sur le balcon, en se figurant qu’elle était en Italie. Maintenant elle était tout à fait résignée à l’idée de ne jamais quitter Graybridge-sur-la-Wayverne. Elle était satisfaite d’y rester toute sa vie, pourvu qu’elle pût voir Roland de temps en temps ; tant qu’elle pourrait savoir qu’il était près d’elle, pensant à elle, et la chérissant, et que, à de certains moments, son visage brun pût venir jeter quelque éclat sur la monotonie de son existence. Elle connaissait le bonheur parfait, le bonheur d’être chérie par l’objet séduisant de son