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LA FEMME DU DOCTEUR

et le feu était toujours bien allumé et bien agréable lorsqu’il rentrait. C’était une femme des plus casanières, — continua la femme de charge d’un ton rêveur, — et c’était très-rare quand elle sortait ailleurs que dans le jardin, excepté en été quand le docteur la menait promener. Elle n’aimait pas à sortir seule, la chère âme ; car il y avait tout autour de Graybridge quantité de jeunes gentillâtres qui l’auraient volontiers suivie et qui lui auraient parlé, sans se soucier de faire causer sur elle les mauvaises langues de Graybridge, si elle avait voulu les laisser faire. Mais jamais il ne lui arriva rien de pareil ; elle était heureuse toute la sainte journée de rester à la maison, travaillant pour son mari et toujours prête à courir à la porte quand elle entendait son pas au dehors… Que Dieu la bénisse !

Le visage de Mme Gilbert devint écarlate, tandis qu’elle contemplait une feuille de papier sur laquelle les mots : « désespoir » et « espoir, » et « soupir, » et « mourir, » rimaient vaille que vaille. Ah ! ceci faisait partie de la honte dont Roland avait parlé. La première personne venue avait le droit de la réprimander, et à chaque instant on lui jetait à la figure les perfections de la défunte. Comme si elle ne désirait pas être morte et en repos, regrettée et non chapitrée, lamentée plutôt que calomniée et grondée. Ces gens vulgaires mettaient leurs mains brutales sur la coupe du bonheur et en transformaient le contenu en eaux amères de la honte. Ces gens de rien s’arrogeaient le droit de la juger, et changeaient les passages poétiques les plus purs et les plus brillants de sa vie en une prosaïque nomenclature de malheurs. L’éclat du Koh-i-noor eût été terni par l’attouchement de