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29° année (1er semestre)

Sommaire du N° 1439.

22 janvier 1911.

TEXTE

Notes de la Semaine :

Autour du Vieil Homme, Le Bonhomme CHRYSALE
Stendhal en Italie : Deuxième Voyage en Italie. STENDHAL
A Travers la Vie : Psychologie Conjugale G. de PORTO-RICHE
Les Echos de Paris SERGINES
Revue des Livres : La Jeune Fille dans la Littérature Française, par M. Jules Bertaut Émile FAGUET

Le Livre du Jour : La Maison des Hommes Vivants. . , . CLAUDE FARRERE Causerie Théâtrale : A propos de La Famille Benoîton

RENÉ DOUMIC — Fanfan Benoîton . . . SERGINES Sommaire du N° 1439. L’Imprimerie Nationale .. ..JULES CLARETTE Les Pierrots de Willette … .. JULES LEMAITRE Histoire de la Semaine. . JACQUES LARDY La Genèse de L’Ancêtre . . . AUGE DE LASSUS Poésie : La Musique CAMILLE SAINT-SAËNS Saynète : Tu me réveilleras . à dix heures. HENRI LAVEDAN Mouvement Scientifique : M. Branly. . . . . MAX DURAND — Botanique ; Variétés. . MAX DE NANSOUTY Pages Oubliées : Marie Lenéru FERNAND GREGH — La Vivante.. .. .. .. .. MARIE LENÉRU Petite Jurisprudence Pratique MAÎTRE ARGUS La Vie Féminine ; Un Guide Pratique des Familles…………… Y. S. Tunis la Blanche .. MYRIAM HARRY Technique de l’Espéranto. ERNEST ARCHDEACON 22 JANVIER 1911.. Menus Propos …… SERGINETTE Les Cereles des Annales. . Y. S. Roman : Juste (Lobel, Alsacien (suite) ANDRÉ LICHTENBERGER Revue Financière de la Semaine ^… ILLUSTRATIONS. Tombeaux, par Canova et Spinazzi. — Coquelin aîné, par Maillard. — La Famille Benoîton. — Dessins de Gustave Janet, André Gill et F. Jobbé-Duval. — L’Imprimerie Nationale. — Tableaux d’A. Bronzino, François Boucher, ChristopheHuet et Willette. — Bas-reliefde Robert de Lorraine. — Portraits et photographies d’actualité. MUSIQUE L’Ancêtre.. Paroles de . . . AUGE DE LASSUS — Musique de Camille SAINT-SAËNS

Notes de la Semaine

Autour du « Vieil Homme »


Je ne puis m’empêcher de vous entretenir du Vieil Homme. Cet ouvrage fait le sujet de toutes les conversations.. Vous savez l’importance presque excessive qu’a prise le théâtre dans la vie sociale de nos jours. S’il n’existait pas, les dîners seraient languissants. Vous êtes assis à côté d’une dame dont vous savez vaguement le nom, dont vous ignorez la condition et le caractère… De quoi lui parler, sans courir le risque de l’inévitable gaffe ? La politique, c’est scabreux ; les voyages, c’est froid ; les arts, c’est prétentieux. Mais, vous lui dites :

— Madame, avez-vous vu la dernière pièce ?

Voilà la glace rompue. Vous dissertez à perte de vue sur le sujet, sur les personnages, sur la thèse de l’auteur ; et, sous couleur de développer des, idées générales, vous exprimez le fond de votre pensée, vous vous révélez à votre voisine, en même temps qu’elle se révèle à vous ; vous vous improvisez moraliste ; vous jugez les mœurs…

Or, Le Vieil Homme offre une ample matière à ratiociner. M. G. de Porto-Riche y a versé, tout à la fois, son talent littéraire, qui est extrêmement brillant, et son expérience, — dix ans d’observation jet de réflexion, — et sa philosophie, et la conception qu’il se fait du monde… Avouons-le, elle est un peu déprimante. Elle peut ainsi se résumer ; l’être humain n’s’appartient pas ; des fassions, le gouvernent ; celles-ci sont à tel point impérieuses qu’il essaierait vainement d’y résister ; il se laisse pousser par elles, comme un navire sans gouvernail par le vent et le flot. Tant mieux s’il arrive au port. Tant pis s’il échoue. Il n’y peut rien. C’est la négation du libre arbitre. C’est la doctrine du fatalisme, de l’anarchie. C’est l’apologie des forces aveugles et tyranniques de l’instinct. Le héros du drame, Michel Fontanet, rencontre en, chemin l’occasion d’une infidélité agréable. Il cède à ce caprice, — dût sa compagne légitime, qui lui est profondément attachée, en souffrir. Pas un scrupule ne l’arrête. Pas un combat ne se livre en lui. Il ne trahit pas le devoir : il ne l’aperçoit pas, il n’en a, point la notion. Son fils, Augustin, un adolescent de seize ans, petit Chérubun romanesque et neurasthénique, tombe subitement amoureux ; il rie suppose pas que cet amour pour une femme mariée soit coupable, et nul ne songe à l’en détourner. On le plaint, comme une victime de la destinée ; sa mère ne s’avise pas de lui donner de ces conseils virils qui le tremperaient, le sauveraient. Elle se lamente, elle pleure ; elle encourage, par trop de faiblesse, la sensibilité maladive de l’enfant ; pas une minute elle ne lui fait entendre le langage du bon sens, de la raison. La fermeté s’allie fort bien à la tendresse. Augustin serait moins débile, mieux équilibré, s’il trouvait, un peu plus d’énergie dans le cœur maternel. Il me semble qu’à la plate de cette mère, j’essaierais d’agir par d’autres moyens sur l’enfant impressionnable et sensible. En le couvrant de baisers, en le serrant dans mes bras, je lui glisserais à l’oreille, avec une infinie douceur, de mâles paroles :

— Mon cher petit, je veux que tu sois heureux et je vais t’en enseigner le moyen… Ce n’est pas, comme tu le crois, de céder aveuglément à tes, fantaisies, à tes désirs : c’est, quelquefois, d’y résister ; c’est de ne pas toujours songer à toi mais de songer à autrui, c’est de répandre autour de toi le bonheur, au lieu de ne le rechercher que pour toi seul. Il faut, en de certaines circonstances, savoir s’immoler. Quand tu auras, goûté au sacrifice, tu connaîtras des joies très pures, très, nobles, qui en effaceront l’amertume. Ne sois pas égoïste ; crée de la joie et tu seras joyeux ; ne te regarde pas souffrir, et tu ne souffriras plus.

Voilà, si j’étais Thérèse Fontanet, ce que je ne me lasserais pas de répéter à Augustin. Et je suis sûr qu’Augustin ! m’écouterait et qu’il se pénétrerait de ces vérités fondamentales et que, peu à peu, il se corrigerait, il s’amenderait. Au lieu de se tuer, comme il le fait dans la pièce, il réfléchirait au coup mortel qu’il va porter à la meilleure des mères et renoncerait à son funeste dessein. Il acquerrait une notion saine et généreuse de la Vie ; il comprendrait qu’elle n’a point pour but unique la jouissance, mais qu’elle vaut surtout par le souci de la justice, le don de soi, la bonté.

La tragédie de M. de Porto-Riche est émouvante. Elle atteste une admirable lucidité ; elle renferme quantité de traits profonds. Le personnage du mari infidèle est modelé de main de maître, peint avec une inexorable exactitude. C’est un monstre. L’auteur décompose ses rouages, les ajuste, les met en mouvement. Cela est merveilleux. Cela est effrayant. Cela est attristant, Michel torture l’infortunée qui s’est donnée à lui, corps et âme. Sa fonction consiste à tout subordonner à l’assouvissement de ses appétits. C’est une bête vorace. Il n’est pas méchant, a-t-on dit. Il n’est pas plus méchant que le vautour qui déchire sa proie ; il se rend compte un peu plus nettement du mal qu’il a fait, et c’est par là qu’il est homme ; mais ce mal n’éveille dans sa conscience qu’un regret éphémère bientôt évanoui. une ride passe sur son lac d’indifférence. Une minute après, il n’y pense plus. Autour de lui, on est faible, on est passif.