Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/60

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profonde que jusqu’ici le rationalisme seul a prétendu atteindre, c’est ce que marque avec une précision remarquable la page suivante de l’Anthropologie : « En nous, et seulement en nous-mêmes, la cause, la force productive des mouvements ou actes libres exécutés par des organes, se manifeste à la fois, et comme phénomène ou fait de sens intime dans l’effort voulu et senti, et comme notion ou conception de l’être actif par essence, ou de la force virtuelle absolue qui était avant de se manifester, et qui reste la même après l’acte, alors même que son exercice est suspendu. Le phénomène et la réalité, l’être et le paraître coïncident donc dans la conscience du moi, identique avec le sentiment immédiat de la force, ou de la cause, qui opère par le vouloir. La distinction entre le phénomène et le noumène, le relatif et l’absolu, alléguée contre la réalité de la substance passive ayant la pensée pour attribut, reste sans objet ou sans valeur, quand on prétend l’appliquer au principe de la force qui ne peut s’apercevoir ou se penser elle-même comme agissante et libre, sans être en soi, comme force virtuelle, ce qu’elle sait ou pense être dans son exercice actuel. Cette assertion porte sa preuve avec elle ou dans la conscience même. » (N., III, 412.) Suivant ce texte, il y a bien deux plans sur lesquels apparaît successivement la vérité de la cause intérieure : le plan du phénomène et le plan de la réalité essentielle ; ce qui est demandé à la causalité, c’est de surmonter l’obstacle de la dualité auquel le spiritualisme substantialiste des Cartésiens se heurtait, la force qui s’apparaît à elle-même dans l’exercice actuel de la causalité ne pouvant pas ne pas exister en soi à titre de force virtuelle.

Or, pour que l’idée de la causalité rendît effectivement au philosophe, qui l’a méditée pendant tant d’années, le service qu’il attendait d’elle, il faudrait qu’elle fût susceptible de se maintenir simple et homogène, identique à elle-même, en dépit de la diversité des plans à travers lesquels Biran l’a fait mouvoir. Et cela, ce serait, sinon un miracle, du moins un paradoxe, et si difficile à seulement concevoir qu’il a fait reculer Biran. Il ne se reconnaît pas le droit de confondre le virtuel, qui occupe la plénitude du temps, avec l’actuel, c’est-à-dire avec la manifestation passagère qui en procède. Mais alors il ne faut plus parler d’une idée de la causalité, une et indivisible ; il y en a deux : « La cause absolue, objective, est… avant comme pendant et après son effet transitoire. Mais la cause de conscience ou subjective, moi, ne commence à exister pour elle-même et ne dure que pendant son effet immanent. » (Cousin, IV, 377.)