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dont j’ai gardé copie en cas de besoin, quoique je sois encore plus déterminé que jamais à garder un silence absolu ; car je suis informé par les lettres d’aujourd’hui que c’est un piège que le journaliste, d’accord avec Gobet et quelques autres, voulait me tendre, et que ledit journaliste n’avait pas d’autres vues que de donner de la vogue à son journal. En m’engageant à y mettre une réponse, il comptait en augmenter le débit, et il a grand besoin de cette ressource, puisqu’il ne s’en vend pas trois cents. »

Quelques jours plus tard, il écrit à l’abbé Bexon à propos de cette même affaire : « Je suis maintenant très décidé à ne faire aucune réponse au sujet du manuscrit Boulanger. Je n’ai jamais lu moi-même le manuscrit : c’est Trécourt qui m’en a lu quelques endroits et qui m’a fait l’extrait de ce qui regardait le cours de la Marne, dont je vous ai remis à vous-même la petite carte. Voilà tout ce que j’ai tiré de ce manuscrit, que je connaissais d’avance par la lettre que Boulanger m’avait écrite en 1750 ; en sorte qu’ayant alors jeté cette lettre, j’ai de même jeté le manuscrit comme papier très inutile. Mais je vois qu’il n’est pas nécessaire d’en convenir aujourd’hui ; il vaut mieux laisser ces mauvaises gens dans l’incertitude, et, comme je garderai un silence absolu, nous aurons le plaisir de voir leurs manœuvres à découvert. Je viens de lire l’extrait de mon ouvrage dans le numéro 18 du même journal Grosier. Il est clair que c’est un guet-apens et un piège qu’on a voulu me tendre, en voulant me forcer à répondre à la lettre de Gobet, parce que le journaliste, dont l’extrait est pitoyable et de mauvaise foi, s’est bien douté que je ne répondrais pas à sa critique, mais que je serais obligé de paraître pour me défendre de la calomnie. Le seul fait d’avoir lu publiquement à l’Académie de Dijon, en 1772, le premier discours des Époques, qui en renferme tout le plan, suffit pour confondre les calomniateurs, puisque le manuscrit Boulanger ne m’a été remis que trois ans après. Et voilà ce que peuvent dire mes amis avec d’autant plus d’assurance qu’il en a été fait mention, lors de la lecture, dans les feuilles hebdomadaires de Bourgogne imprimées à Dijon. Il faut donc laisser la calomnie retomber sur elle-même, et je suis très aise que vous en pensiez ainsi. »

Dès le début de sa carrière scientifique, il avait manifesté le même dédain pour les attaques. Le 21 mars 1750, les premiers volumes de son Histoire naturelle ayant été l’objet de très vives critiques de la part des jansénistes, il écrit à l’abbé Leblanc : « J’aimerais mieux combattre pour cette cause que pour la mienne contre les jansénistes, dont le gazetier m’a attaqué aussi vivement, mais un peu moins malhonnêtement qu’il n’a fait le président Montesquieu. Il a répondu par une brochure assez épaisse et du meilleur ton. Sa réponse a parfaitement réussi ; malgré cet exemple, je crois que j’agirai différemment et que je ne répondrai pas un seul mot. Chacun a sa délicatesse d’amour-propre ; la mienne va jusqu’à croire que certaines gens ne peuvent pas même m’offenser. »