Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/60

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gner un degré de certitude qu’elle ne saurait avoir, à cause de la disette des faits et des observations. »

Montesquieu a laissé un mot plein de réserve, qui met en saillie la mauvaise humeur provoquée chez les savants par la publication des trois premiers volumes de l’Histoire naturelle. Il écrit à cette époque à Mgr Ceruti : « M. de Buffon vient de publier trois volumes qui seront suivis de douze autres : les trois premiers contiennent des idées générales… M. de Buffon a, parmi les savants de ce pays-ci, un très grand nombre d’ennemis, et la voix prépondérante des savants emportera, à ce que je crois, la balance pour bien du temps : pour moi, qui y trouve de belles choses, j’attendrai avec tranquillité et modestie la décision des savants étrangers ; je n’ai pourtant vu personne à qui je n’aie entendu dire qu’il y avait beaucoup d’utilité à le lire… »

Les deux dernières citations que je viens de faire donnent une idée de la façon dont l’Histoire naturelle avait été accueillie par les savants. Ils reprochaient à Buffon la richesse de son style, la large envergure de son imagination, sa tendance à créer des systèmes, en un mot son esprit synthétique. Ils lui en voulaient surtout d’avoir, dès les premières pages, montré son dédain des classifications plus ou moins naturelles imaginées par les botanistes et les zoologistes, et parlé sans un suffisant respect des naturalistes les plus vénérés. Étranger à ce petit monde scientifique qui formait alors en Europe une sorte de franc-maçonnerie tendant à s’isoler du vulgum pecus, par la langue, les usages, le costume et même les noms à désinence latine de ses membres, Buffon avait piétiné sans respect les plates-bandes de M. Linnæus.

Laissant de côté le latin, et dans son style et dans l’orthographe de son nom, refusant de signer Buffonius, et croyant bon, étant Français, d’écrire dans la claire et lumineuse langue de ses concitoyens, il ne pouvait manquer de soulever contre lui les colères de tous les adeptes des vieilles traditions du monde savant.

Les deux ouvrages qui nous ont le mieux transmis l’écho de ces doléances et de ces colères sont ceux de Réaumur et de Malesherbes.

En 1798, c’est-à-dire cinq ans après la mort tragique de Chrétien-Guillaume Lamoignon-Malesherbes, il parut à Paris un ouvrage posthume du savant jurisconsulte sous le titre de : Observations de Lamoignon-Malesherbes sur l’Histoire naturelle générale et particulière de Buffon et Daubenton. Cet ouvrage fut écrit après la publication des trois premiers volumes du livre de Buffon ; il renferme une analyse critique très minutieuse des idées et des observations publiées par le savant naturaliste. Malesherbes ne destinait sans doute pas ses observations à la publicité ; car il en égara le manuscrit et mourut sans s’être jamais donné la peine de le rechercher. La lecture des Observations révèle chez son auteur des connaissances sérieuses dans les diverses branches des sciences naturelles, un esprit critique très délié et