Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/61

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une assez grande bienveillance. Il règne cependant dans cet ouvrage une sorte de mauvaise humeur permanente que Malesherbes semble ne pouvoir maîtriser et dont il nous fournit lui-même, dès les premières pages, l’explication : Buffon n’est pas naturaliste, Buffon maltraite les naturalistes. Après avoir montré les difficultés du projet entrepris par Buffon, il dit : « Ce projet me semble d’autant plus hardi, que M. de Buffon n’avait pas encore paru dans le monde savant comme naturaliste[1]… »

Malesherbes se montrait juste pour Buffon quand il louait la profondeur de ses vues et quand il indiquait dans son œuvre des erreurs de détail ; mais il est manifeste qu’il n’avait ouvert l’Histoire naturelle qu’avec une extrême défiance, parce que Buffon n’appartenait pas au petit monde fermé des savants. Cette défiance se transforme en mauvaise humeur après la lecture du premier discours, dans lequel Buffon ne se montre pas suffisamment respectueux à l’égard des naturalistes passés et présents : « Ce qui rendait, ajoute Malesherbes, une critique plus indispensable, c’est que plusieurs hommes illustres sont attaqués avec force et, si j’ose dire, avec trop peu de circonspection. C’est un reproche que je ne puis m’empêcher de faire à M. de Buffon, surtout à l’égard de Linnæus, dont je crois qu’il a trop peu lu les ouvrages et dont il n’a pas saisi l’esprit[2]. »

La suite de cette Introduction montrera que c’est précisément parce que Buffon avait admirablement compris l’esprit des ouvrages de Linnæus et des autres classificateurs, qu’il en avait si vivement critiqué et l’esprit et la méthode. Je ne veux pas insister davantage sur les observations de Malesherbes ; je me borne à en citer un passage. En parlant des articles II, III, IV et V des preuves de la Théorie de la terre, Malesherbes écrit : « Nous n’avons rien à opposer à ces quatre articles, parce que nous ne refusons pas à l’auteur d’être un homme de beaucoup d’esprit, et de bien saisir l’esprit d’un livre quand il l’aura lu avec attention, et de le rendre avec précision. Nous lui refusons seulement d’être naturaliste, et, par conséquent, de parler pertinemment d’histoire naturelle[3]. »

Les critiques de Malesherbes ne sont que maussades ; celles de Réaumur sont âcres et virulentes. C’est que Réaumur lui-même est naturaliste, et du plus grand talent. Observateur d’une grande précision et d’une admirable sagacité, mais esprit essentiellement analytique, il n’entend rien aux généralisations, aux systèmes, aux hypothèses brillantes et grandioses de Buffon.

J’ai déjà dit plus haut que les critiques de Réaumur furent publiées sans nom d’auteur sous le titre de Lettres à un Américain sur l’Histoire naturelle générale et particulière de Buffon, et j’ai mis en relief la passion religieuse qui les anime. Il serait trop long d’en faire l’analyse.

  1. Loc. cit., p. 3.
  2. Loc. cit., p. 4.
  3. Loc. cit., t. II, p. 20.