Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/67

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jadis si dédaigneux à l’égard de Buffon, ménageait un rival devenu puissant. « Je ne veux pas, disait-il, me brouiller avec M. de Buffon pour des coquilles. » Recevant la visite du fils de Buffon, alors âgé de douze ans, il le faisait asseoir dans son grand fauteuil et se découvrait devant lui, voulant témoigner du respect avec lequel il aurait traité le père. Rousseau s’agenouillait devant le pavillon où avait été écrite l’histoire de la terre et des animaux et le Discours sur le style. Mirabeau écrivait à sa Sophie, qui, paraît-il, après la mort de Mlle de Saint-Belin, avait eu l’idée d’épouser Buffon : « En fait de science, comparer l’opinion et l’autorité de M. de Buffon à la mienne, c’est comparer l’aigle au moineau. M. de Buffon est le plus grand homme de son siècle et de bien d’autres… » Ailleurs, dans une note mise en marge de ses manuscrits, à Vincennes, Mirabeau, parlant de Buffon, dit encore : « On peut justement appliquer à M. de Buffon ce que Quintilien disait d’Homère : Hunc nemo in magnis… Jamais personne ne le surpassera en élévation dans les grands sujets, en justesse et en propriété de termes dans les petits. Il est tout à la fois fécond et serré, plein de gravité et de douceur, admirable par son abondance et par sa brièveté. » Jean-Jacques disait, en parlant de Buffon : « C’est la plus belle plume du siècle. »

Quant à Buffon, il poursuivait patiemment, dans sa retraite de Montbard, l’œuvre commencée, s’entourant de collaborateurs zélés et intelligents : Daubenton d’abord, qui se sépara de lui pour une mesquine question d’amour-propre ; puis l’abbé Bexon et Guéneau de Montbéliard, qui écrivirent la plus grande partie des oiseaux ; M. de Grignon, qui l’aida dans ses recherches sur la fabrication des fers et qui lui fournit des notes pour l’histoire des minéraux ; Faujas de Saint-Fond et Guyton de Morveau, qui lui prêtèrent leur concours pour la rédaction de l’histoire des minéraux ; Jean Nadault, correspondant de l’Académie des sciences, qui rédigea plusieurs parties de cette histoire et des Preuves de la Théorie de la terre ; Emmanuel Baillon qui lui envoya plus d’un renseignement utile sur les mœurs des oiseaux de rivage, etc.

Tandis que, grâce à ces aides dévoués, les volumes de l’Histoire naturelle se succédaient avec une rapidité que la maladie seule fut capable d’inter-

    jours. Ils furent conduits au grand maréchal du palais, qui présenta les deux voyageurs à Sa Majesté impériale. Le premier mot de l’impératrice fut pour s’informer de la santé de l’illustre naturaliste dont elle recevait le fils. Le comte de Buffon et le chevalier de Contréglise accompagnaient l’impératrice, soit aux revues, soit aux spectacles ; et, dans les lieux publics où ils se rendaient avec elle, ils étaient toujours placés à sa droite. Le buste fut déposé à l’Hermitage, dans une salle consacrée aux grands hommes des deux mondes. Après un séjour de six mois, le comte de Buffon et le chevalier de Contréglise quittaient Saint-Pétersbourg. On leur rendit au départ les mêmes honneurs que ceux qu’ils avaient reçus à leur arrivée. L’impératrice remit au jeune comte une lettre pour son père, entièrement écrite de sa main, et dans laquelle elle le complimente sur la conduite distinguée que son fils a tenue à sa cour ; elle lui renouvelle ses regrets de ce que son grand âge l’a privée du plaisir qu’elle aurait eu à le recevoir dans son palais où depuis longtemps, dit-elle, une place était assignée à son buste. »