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pas été arrêtée par quelque rocher qui avançait ; car, quoiqu’on l’eût toujours retirée mouillée aussi bien qu’un bout de la corde à quoi elle était attachée, cela ne prouve rien, puisque l’eau qui se précipite de la montagne rejaillit fort haut en écumant ; pour moi, après l’avoir considérée de tous les endroits d’où on peut l’examiner à son aise, j’estime qu’on ne saurait lui donner moins de cent quarante ou cent cinquante pieds.

» Quant à sa figure, elle est en fer à cheval, et elle a environ quatre cents pas de circonférence ; mais précisément dans son milieu elle est partagée en deux par une île fort étroite et d’un demi-quart de lieue de long, qui y aboutit. Il est vrai que ces deux parties ne tardent pas à se rejoindre ; celle qui était de mon côté, et qu’on ne voyait que de profil, a plusieurs pointes qui avancent ; mais celle que je découvrais en face me parut fort unie. Le baron de La Hontan y ajoute un torrent qui vient de l’ouest ; il faut que dans la fonte des neiges les eaux sauvages viennent se décharger là par quelque ravine, etc. » (Tome III, page 332, etc.)

Il y a une autre cataracte à trois lieues d’Albanie, dans la province de la Nouvelle-York, qui a environ cinquante pieds de hauteur perpendiculaire, et de cette chute d’eau il s’élève aussi un brouillard dans lequel on aperçoit un léger arc-en-ciel qui change de place à mesure qu’on s’en éloigne ou qu’on s’en approche. (Voyez Trans. phil. abr., vol. VI, part. 2, page 119.)

En général, dans tous les pays où le nombre d’hommes n’est pas assez considérable pour former des sociétés policées, les terrains sont plus irréguliers et le lit des fleuves plus étendu, moins égal et rempli de cataractes. Il a fallu des siècles pour rendre le Rhône et la Loire navigables ; c’est en contenant les eaux, en les dirigeant et en nettoyant le fond des fleuves, qu’on leur donne un cours assuré ; dans toutes les terres où il y a peu d’habitants, la nature est brute et quelquefois difforme.

Il y a des fleuves qui se perdent dans les sables, d’autres qui semblent se précipiter dans les entrailles de la terre ; le Guadalquivir en Espagne, la rivière de Gottemburg en Suède, et le Rhin même, se perdent dans la terre. On assure que, dans la partie occidentale de l’île Saint-Domingue, il y a une montagne d’une hauteur considérable, au pied de laquelle sont plusieurs cavernes où les rivières et les ruisseaux se précipitent avec tant de bruit qu’on l’entend de sept ou huit lieues. (Voyez Varenii Geograph. general., page 43.)

Au reste, le nombre de ces fleuves qui se perdent dans le sein de la terre est fort petit, et il n’y a pas d’apparence que ces eaux descendent bien bas dans l’intérieur du globe ; il est plus vraisemblable qu’elles se perdent, comme celles du Rhin, en se divisant dans les sables, ce qui est fort ordinaire aux petites rivières qui arrosent les terrains secs et sablonneux ; on en a plusieurs exemples en Afrique, en Perse, en Arabie, etc. Les fleuves du Nord transportent dans les mers une prodigieuse quantité de glaçons qui, venant à s’accumuler, forment ces masses énormes de glace si funestes aux voyageurs ; un des endroits de la mer Glaciale où elles sont le plus abondantes est le détroit de Waigats, qui est gelé en entier pendant la plus grande partie de l’année ; ces glaces sont formées des glaçons que le fleuve Oby transporte presque continuellement ; elles s’attachent le long des côtes et s’élèvent à une hauteur considérable des deux côtés du détroit ; le milieu du détroit est l’endroit qui gèle le dernier, et où la glace est le moins élevée ; lorsque le vent cesse de venir du nord et qu’il souffle dans la direction du détroit, la glace commence à fondre et à se rompre dans le milieu ; ensuite il s’en détache des côtes de grandes masses qui voyagent dans la haute mer. Le vent, qui pendant tout l’hiver vient du nord et passe sur les terres gelées de la Nouvelle-Zemble, rend le pays arrosé par l’Oby et toute la Sibérie si froids, qu’à Tobolsk même, qui est au 57e degré, il n’y a point d’arbres fruitiers, tandis qu’en Suède, à Stockholm, et même à de plus hautes latitudes, on a des arbres fruitiers et des légumes ; cette différence ne vient pas, comme on l’a cru, de ce que la mer de Laponie est moins froide que celle du détroit, ou de ce