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que la terre de la Nouvelle-Zemble l’est plus que celle de la Laponie, mais uniquement de ce que la mer Baltique et le golfe de Bothnie adoucissent un peu la rigueur des vents du nord, au lieu qu’en Sibérie il n’y a rien qui puisse tempérer l’activité du froid. Ce que je dis ici est fondé sur de bonnes observations ; il ne fait jamais aussi froid sur les côtes de la mer que dans l’intérieur des terres ; il y a des plantes qui passent l’hiver en plein air à Londres, et qu’on ne peut conserver à Paris ; et la Sibérie, qui fait un vaste continent où la mer n’entre pas, est par cette raison plus froide que la Suède, qui est environnée de la mer presque de tous côtés.

Le pays du monde le plus froid est le Spitzberg ; c’est une terre au 78e degré de latitude, toute formée de petites montagnes aiguës ; ces montagnes sont composées de gravier et de certaines pierres plates, semblables à de petites pierres d’ardoises grises, entassées les unes sur les autres. Ces collines se forment, disent les voyageurs, de ces petites pierres et de ces graviers que les vents amoncellent ; elles croissent à vue d’œil, et les matelots en découvrent tous les ans de nouvelles : on ne trouve dans ce pays que des rennes, qui paissent une petite herbe fort courte et de la mousse. Au-dessus de ces petites montagnes, et à plus d’une lieue de la mer, on a trouvé un mât qui avait une poulie attachée à un de ses bouts, ce qui a fait penser que la mer passait autrefois sur ces montagnes, et que ce pays est formé nouvellement ; il est inhabité et inhabitable ; le terrain qui forme ces petites montagnes n’a aucune liaison, et il en sort une vapeur si froide et si pénétrante, qu’on est gelé pour peu qu’on y demeure.

Les vaisseaux qui vont au Spitzberg pour la pêche de la baleine y arrivent au mois de juillet et en partent vers le 15 d’août, les glaces empêcheraient d’entrer dans cette mer avant ce temps, et d’en sortir après ; on y trouve des morceaux prodigieux de glaces épaisses de 60, 70 et 80 brasses. Il y a des endroits où il semble que la mer soit glacée jusqu’au fond ; ces glaces, qui sont si élevées au-dessus du niveau de la mer, sont claires et luisantes comme du verre. (Voyez le Recueil des voyages du Nord, t. Ier, p. 154.)

Il y a aussi beaucoup de glaces dans les mers du nord de l’Amérique, comme dans la baie de l’Ascension, dans les détroits de Hudson, de Cumberland, de Davis, de Frobisher, etc. Robert Lade nous assure que les montagnes de Frisland sont entièrement couvertes de neige, et toutes les côtes de glace, comme d’un boulevard qui ne permet pas d’en approcher : « Il est, dit-il, fort remarquable que dans cette mer on trouve des îles de glace de plus d’une demi-lieue de tour, extrêmement élevées, et qui ont 70 ou 80 brasses de profondeur dans la mer ; cette glace, qui est douce, est peut-être formée dans les détroits des terres voisines, etc. Ces îles, ou montagnes de glace, sont si mobiles, que dans des temps orageux elles suivent la course d’un vaisseau comme si elles étaient entraînées dans le même sillon ; il y en a de si grosses, que leur superficie au-dessus de l’eau surpasse l’extrémité des mâts des plus gros navires, etc. » (Voyez la traduction des Voyages de Lade, par M. l’abbé Prévôt, t. II, p. 305 et suiv.)

On trouve, dans le Recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la Compagnie des Indes de Hollande, un petit journal historique au sujet des glaces de la Nouvelle-Zemble dont voici l’extrait : « Au cap de Troost, le temps fut si embrumé qu’il fallut amarrer le vaisseau à un banc de glace qui avait 36 brasses de profondeur dans l’eau, et environ 16 brasses au-dessus, si bien qu’il y avait 52 brasses d’épaisseur…

» Le 10 d’août, les glaces s’étant séparées, les glaçons commencèrent à flotter, et alors on remarqua que le gros banc de glace auquel le vaisseau avait été amarré touchait au fond, parce que tous les autres passaient au long et le heurtaient sans l’ébranler ; on craignit donc de demeurer pris dans les glaces, et on tâcha de sortir de ce parage, quoiqu’en passant on trouvât déjà l’eau prise, le vaisseau faisant craquer la glace bien loin autour de lui ; enfin on aborda un autre banc, où l’on porta vite l’ancre de touée, et l’on s’y amarra jusqu’au soir.