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résultats ne peuvent nous donner que des idées incomplètes des productions et des opérations de la nature, nous voulons pénétrer plus avant, et examiner avec des yeux plus attentifs la forme et la conduite de ses ouvrages, on est aussi surpris de la variété du dessein que de la multiplicité des moyens d’exécution. Le nombre des productions de la nature, quoique prodigieux, ne fait alors que la plus petite partie de notre étonnement ; sa mécanique, son art, ses ressources, ses désordres même, emportent toute notre admiration ; trop petit pour cette immensité, accablé par le nombre des merveilles, l’esprit humain succombe : il semble que tout ce qui peut être, est ; la main du Créateur ne paraît pas s’être ouverte pour donner l’être à un certain nombre déterminé d’espèces ; mais il semble qu’elle ait jeté tout à la fois un monde d’êtres relatifs et non relatifs, une infinité de combinaisons harmoniques et contraires, et une perpétuité de destructions et de renouvellements. Quelle idée de puissance ce spectacle ne nous offre-t-il pas ! quel sentiment de respect cette vue de l’univers ne nous inspire-t-elle pas pour son auteur ! Que serait-ce si la faible lumière qui nous guide devenait assez vive pour nous faire apercevoir l’ordre général des causes et de la dépendance des effets ? Mais l’esprit le plus vaste, et le génie le plus puissant, ne s’élèvera jamais à ce haut point de connaissance : les premières causes nous seront à jamais cachées, les résultats généraux de ces causes nous seront aussi difficiles à connaître que les causes mêmes ; tout ce qui nous est possible, c’est d’apercevoir quelques effets particuliers, de les comparer, de les combiner, et enfin d’y reconnaître plutôt un ordre relatif à notre propre nature, que convenable à l’existence des choses que nous considérons.

Mais puisque c’est la seule voie qui nous soit ouverte, puisque nous n’avons pas d’autres moyens pour arriver à la connaissance des choses naturelles, il faut aller jusqu’où cette route peut nous conduire, il faut rassembler tous les objets, les comparer, les étudier, et tirer de leurs rapports combinés toutes les lumières qui peuvent nous aider à les apercevoir nettement et à les mieux connaître.

La première vérité qui sort de cet examen sérieux de la nature est une vérité peut-être humiliante pour l’homme ; c’est qu’il doit se ranger lui-même dans la classe des animaux[NdÉ 1], auxquels il ressemble par tout ce qu’il a de matériel, et même leur instinct lui paraîtra peut-être plus sûr que sa raison, et leur industrie plus admirable que ses arts. Parcourant ensuite successivement et par ordre les différents objets qui composent l’univers, et

  1. À l’époque de Buffon, il y avait quelque hardiesse à affirmer que l’homme doit être rangé « dans la classe des animaux ». Aujourd’hui même, il ne manque pas de gens, en dehors du milieu scientifique, qui répugnent à l’idée que l’homme n’est que le premier des animaux. Il y a quelques années, j’ai entendu un membre de l’Institut de France parler d’un prétendu « règne hominal ».