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rapporte même des expériences qui ont été faites dans le Bosphore et qui prouvent ce fait — mais il y a grande apparence que les expériences ont été mal faites, puisque la chose est impossible et qu’elle répugne à toutes les notions que l’on a sur le mouvement des eaux : d’ailleurs, Greaves, dans sa Pyramidographie, pages 101 et 102, prouve par des expériences bien faites qu’il n’y a dans le Bosphore aucun courant inférieur dont la direction soit opposée au courant supérieur : ce qui a pu tromper Marsilli et les autres, c’est que dans le Bosphore, comme dans le détroit de Gibraltar et dans tous les fleuves qui coulent avec quelque rapidité, il y a un remous considérable le long des rivages, dont la direction est ordinairement différente, et quelquefois contraire à celle du courant principal des eaux.

Parcourons maintenant toutes les côtes du nouveau continent, et commençons par le point du cap Holdwith-Hope, situé au 73e degré latitude nord : c’est la terre la plus septentrionale que l’on connaisse dans le nouveau Groenland ; elle n’est éloignée du cap Nord de Laponie que d’environ 160 ou 180 lieues ; de ce cap on peut suivre la côte du Groenland jusqu’au cercle polaire ; là, l’océan forme un large détroit entre l’Islande et les terres du Groenland. On prétend que ce pays voisin de l’Islande n’est pas l’ancien Groenland que les Danois possédaient autrefois comme province dépendante de leur royaume ; il y avait dans cet ancien Groenland des peuples policés et chrétiens, des évêques, des églises, des villes considérables par leur commerce ; les Danois y allaient aussi souvent et aussi aisément que les Espagnols pourraient aller aux Canaries : il existe encore, à ce qu’on assure, des titres et des ordonnances pour les affaires de ce pays, et tout cela n’est pas bien ancien ; cependant, sans qu’on puisse deviner comment ni pourquoi, ce pays est absolument perdu, et l’on n’a trouvé dans le nouveau Groenland aucun indice de tout ce que nous venons de rapporter : les peuples y sont sauvages ; il n’y a aucun vestige d’édifice, pas un mot de leur langue qui ressemble à la langue danoise, enfin rien qui puisse faire juger que c’est le même pays ; il est même presque désert et bordé de glaces pendant la plus grande partie de l’année ; mais, comme ces terres sont d’une très vaste étendue et que les côtes ont été très peu fréquentées par les navigateurs modernes, ces navigateurs ont pu manquer le lieu où habitent les descendants de ces peuples policés, ou bien il se peut que les glaces étant devenues plus abondantes dans cette mer, elles empêchent aujourd’hui d’aborder en cet endroit : tout ce pays cependant, à en juger par les cartes, a été côtoyé et reconnu en entier, il forme une grande presqu’île à l’extrémité de laquelle sont les deux détroits de Frobisher et l’île de Frisland, où il fait un froid extrême, quoiqu’ils ne soient qu’à la hauteur des Orcades, c’est-à-dire à 60 degrés.

Entre la côte occidentale du Groenland et celle de la terre de Labrador, l’océan fait un golfe, et ensuite une grande mer méditerranée, la plus froide de toutes les mers, et dont les côtes ne sont pas encore bien reconnues ; en suivant ce golfe droit au nord on trouve le large détroit de Davis qui conduit à la mer Christiane, terminée par la mer de Baffin, qui fait un cul-de-sac dont il paraît qu’on ne peut sortir que pour tomber dans un autre cul-de-sac qui est la baie de Hudson. Le détroit de Cumberland qui peut, aussi bien que celui de Davis, conduire à la mer Christiane, est plus étroit et plus sujet à être glacé ; celui de Hudson, quoique beaucoup plus méridional, est aussi glacé pendant une partie de l’année, et on a remarqué dans ces détroits et dans ces mers méditerranées un mouvement de flux et reflux très fort, tout au contraire de ce qui arrive dans les mers méditerranées de l’Europe, soit dans la Méditerranée, soit dans la mer Baltique, où il n’y a point de flux et reflux, ce qui ne peut venir que de la différence du mouvement de la mer, qui, se faisant toujours d’orient en occident, occasionne de grandes marées dans les détroits qui sont opposés à cette direction de mouvement, c’est-à-dire dans les détroits dont les ouvertures sont tournées vers l’orient, au lieu que dans ceux de l’Europe, qui présentent leur ouverture à l’occident, il n’y a aucun mouvement : l’océan, par son mou-