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jours en équilibre et de niveau, les pousse vers le point opposé à la lune pour que cet équilibre se conserve. Ainsi, dans les deux cas, lorsque la lune est au méridien d’un lieu ou au méridien opposé, les eaux doivent s’élever à très peu près de la même quantité, et par conséquent s’abaisser et refluer aussi de la même quantité, lorsque la lune est à l’horizon, à son coucher ou à son lever. On voit bien qu’un mouvement, dont la cause et l’effet sont tels que nous venons de l’expliquer, ébranle nécessairement la masse entière des mers, et la remue dans toute son étendue et dans toute sa profondeur ; et, si ce mouvement paraît insensible dans les hautes mers et lorsqu’on est éloigné des terres, il n’en est cependant pas moins réel ; le fond et la surface sont remués à peu près également, et même les eaux du fond, que les vents ne peuvent agiter comme celles de la surface, éprouvent bien plus régulièrement que celles de la surface cette action, et elles ont un mouvement plus réglé et qui est toujours alternativement dirigé de la même façon.

De ce mouvement alternatif de flux et de reflux il résulte, comme nous l’avons dit, un mouvement continuel de la mer de l’orient vers l’occident, parce que l’astre, qui produit l’intumescence des eaux, va lui-même d’orient en occident, et qu’agissant successivement dans cette direction, les eaux suivent le mouvement de l’astre dans la même direction. Ce mouvement de la mer d’orient en occident est très sensible dans tous les détroits : par exemple, au détroit de Magellan, le flux élève les eaux à près de 20 pieds de hauteur, et cette intumescence dure six heures, au lieu que le reflux ou la détumescence ne dure que deux heures (voyez le Voyage de Narbrough), et l’eau coule vers l’occident ; ce qui prouve évidemment que le reflux n’est pas égal au flux, et que de tous deux il résulte un mouvement vers l’occident, mais beaucoup plus fort dans le temps du flux que dans celui du reflux ; et c’est pour cette raison que dans les hautes mers éloignées de toute terre, les marées ne sont sensibles que par le mouvement général qui en résulte, c’est-à-dire par ce mouvement d’orient en occident.

Les marées sont plus fortes et elles font hausser et baisser les eaux bien plus considérablement dans la zone torride entre les tropiques, que dans le reste de l’océan ; elles sont aussi beaucoup plus sensibles dans les lieux qui s’étendent d’orient en occident, dans les golfes qui sont longs et étroits, et sur les côtes où il y a des îles et des promontoires ; le plus grand flux qu’on connaisse est, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, à l’une des embouchures du fleuve Indus, où les eaux s’élèvent de 30 pieds ; il est aussi fort remarquable auprès de Malaye, dans le détroit de la Sonde, dans la mer Rouge, dans la baie de Nelson, à 55 degrés de latitude septentrionale, où il s’élève à 15 pieds, à l’embouchure du fleuve Saint-Laurent, sur les côtes de la Chine, sur celles du Japon, à Panama, dans le golfe de Bengale, etc.

Le mouvement de la mer d’orient en occident est très sensible dans de certains endroits ; les navigateurs l’ont souvent observé en allant de l’Inde à Madagascar et en Afrique ; il se fait sentir aussi avec beaucoup de force dans la mer Pacifique, et entre les Moluques et le Brésil ; mais les endroits où ce mouvement est le plus violent sont les détroits qui joignent l’océan à l’océan ; par exemple, les eaux de la mer sont portées avec une si grande force d’orient en occident par le détroit de Magellan, que ce mouvement est sensible même à une grande distance dans l’Océan Atlantique, et on prétend que c’est ce qui a fait conjecturer à Magellan qu’il y avait un détroit par lequel les deux mers avaient une communication. Dans le détroit des Manilles et dans tous les canaux qui séparent les îles Maldives, la mer coule d’orient en occident, comme aussi dans le golfe du Mexique entre Cuba et Jucatan ; dans le golfe de Paria ce mouvement est si violent, qu’on appelle le détroit la Gueule du Dragon ; dans la mer de Canada ce mouvement est aussi très violent, aussi bien que dans la mer de Tartarie et dans le détroit de Waigats, par lequel l’océan, en coulant avec rapidité d’orient en occident, charrie des masses énormes de glace de la mer de Tartarie dans la mer du nord de l’Europe. La mer Pacifique