Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/21

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vouloir juger de la différence des plantes uniquement par celle de leurs feuilles ou de leurs fleurs, c’est comme si l’on voulait connaître la différence des animaux par la différence de leurs peaux ou par celle des parties de la génération ; et qui ne voit que cette façon de connaître n’est pas une science, et que ce n’est tout au plus qu’une convention, une langue arbitraire, un moyen de s’entendre, mais dont il ne peut résulter aucune connaissance réelle ?

Me serait-il permis de dire ce que je pense sur l’origine de ces différentes méthodes, et sur les causes qui les ont multipliées au point qu’actuellement la botanique elle-même est plus aisée à apprendre que la nomenclature, qui n’en est que la langue ? Me serait-il permis de dire qu’un homme aurait plus tôt fait de graver dans sa mémoire les figures de toutes les plantes, et d’en avoir des idées nettes, ce qui est la vraie botanique, que de retenir tous les noms que les différentes méthodes donnent à ces plantes, et que par conséquent la langue est devenue plus difficile que la science ? voici, ce me semble, comment cela est arrivé. On a d’abord divisé les végétaux suivant leurs différentes grandeurs ; on a dit : il y a de grands arbres, de petits arbres, des arbrisseaux, des sous-arbrisseaux, de grandes plantes, de petites plantes et des herbes. Voilà le fondement d’une méthode que l’on divise et sous-divise ensuite par d’autres relations de grandeurs et de formes, pour donner à chaque espèce un caractère particulier. Après la méthode faite sur ce plan, il est venu des gens qui ont examiné cette distribution, et qui ont dit : Mais cette méthode, fondée sur la grandeur relative des végétaux, ne peut pas se soutenir, car il y a dans une seule espèce, comme dans celle du chêne, des grandeurs si différentes, qu’il y a des espèces de chêne qui s’élèvent à cent pieds de hauteur, et d’autres espèces de chêne qui ne s’élèvent jamais à plus de deux pieds ; il en est de même, proportion gardée, des châtaigniers, des pins, des aloès et d’une infinité d’autres espèces de plantes. On ne doit donc pas, a-t-on dit, déterminer les genres des plantes par leur grandeur, puisque ce signe est équivoque et incertain, et l’on a abandonné avec raison cette méthode. D’autres sont venus ensuite, qui, croyant faire mieux, ont dit : Il faut, pour connaître les plantes, s’attacher aux parties les plus apparentes, et, comme les feuilles sont ce qu’il y a de plus apparent, il faut arranger les plantes par la forme, la grandeur et la position des feuilles. Sur ce projet, on a fait une autre méthode, on l’a suivie pendant quelque temps, mais ensuite on a reconnu que les feuilles de presque toutes les plantes varient prodigieusement selon les différents âges et les différents terrains, que leur forme n’est pas plus constante que leur grandeur, que leur position est encore plus incertaine ; on a donc été aussi peu content de cette méthode que de la précédente. Enfin quelqu’un a imaginé, et je crois que c’est Gesner, que le Créateur avait mis dans la fructification des plantes un certain nombre de caractères différents et inva-