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lier du vaisseau dont tous les membres et les parties prises séparément participent à cette agitation, comme si tout le vaisseau faisait partie de la terre et qu’il ne nageât pas dans une matière fluide ; son mouvement devrait être tout au plus semblable à celui qu’il éprouverait dans une tempête ; d’ailleurs, dans l’occasion où je parle, la surface de la mer était unie et ses flots n’étaient point élevés ; toute l’agitation était intérieure, parce que le vent ne se mêla point au tremblement de terre. La troisième remarque est que si la caverne de la terre où le feu souterrain est renfermé va du septentrion au midi, et si la ville est pareillement située dans sa longueur du septentrion au midi, toutes les maisons sont renversées, au lieu que si cette veine ou caverne fait son effet en prenant la ville par sa largeur, le tremblement de terre fait moins de ravages, etc. » (Voyez le Nouveau Voyage autour du Monde de M. Le Gentil, t. Ier, p. 172 et suiv.)

Il arrive que dans les pays sujets au tremblement de terre, lorsqu’il se fait un nouveau volcan, les tremblements de terre finissent et ne se font sentir que dans les éruptions violentes du volcan, comme on l’a observé dans l’île Saint-Christophe. (Voyez Phil. Trans. Abr., v. II, p. 392.)

Ces énormes ravages, produits par les tremblements de terre, ont fait croire à quelques naturalistes que les montagnes et les inégalités de la surface du globe n’étaient que le résultat des effets de l’action des feux souterrains, et que toutes les irrégularités que nous remarquons sur la terre devaient être attribuées à ces secousses violentes et aux bouleversements qu’elles ont produits ; c’est, par exemple, le sentiment de Ray : il croit que toutes les montagnes ont été formées par des tremblements de terre ou par l’explosion des volcans, comme le mont di Cenere, l’Île Nouvelle, près de Santorin, etc. ; mais il n’a pas pris garde que ces petites élévations, formées par l’éruption d’un volcan ou par l’action d’un tremblement de terre, ne sont pas intérieurement composées de couches horizontales, comme le sont toutes les autres montagnes ; car, en fouillant dans le mont di Cenere, on trouve les pierres calcinées, les cendres, les terres brûlées, le mâchefer, les pierres ponces, tous mêlés et confondus comme dans un monceau de décombres. D’ailleurs, si les tremblements de terre et les feux souterrains eussent produit les grandes montagnes de la terre, comme les Cordillères, le mont Taurus, les Alpes, etc., la force prodigieuse qui aurait élevé ces masses énormes aurait en même temps détruit une grande partie de la surface du globe, et l’effet du tremblement aurait été d’une violence inconcevable, puisque les plus fameux tremblements de terre dont l’histoire fasse mention n’ont pas eu assez de force pour élever des montagnes : par exemple, il y eut du temps de Valentinien Ier un tremblement de terre qui se fit sentir dans tout le monde connu, comme le rapporte Ammien Marcellin (lib. xxvi, cap. xiv), et cependant il n’y eut aucune montagne élevée par ce grand tremblement.

Il est cependant vrai qu’en calculant on pourrait trouver qu’un tremblement de terre assez violent pour élever les plus hautes montagnes ne le serait pas assez pour déplacer le reste du globe.

Car supposons pour un instant que la chaîne des hautes montagnes qui traverse l’Amérique méridionale, depuis la pointe des terres Magellaniques jusqu’aux montagnes de la Nouvelle-Grenade et au golfe de Darien, ait été élevée tout à la fois et produite par un tremblement de terre, et voyons par le calcul l’effet de cette explosion. Cette chaîne de montagnes a environ 1 700 lieues de longueur et communément 40 lieues de largeur, y compris les Sierras, qui sont des montagnes moins élevées que les Andes ; la surface de ce terrain est donc de 68 000 lieues carrées ; je suppose que l’épaisseur de la matière déplacée par le tremblement est d’une lieue, c’est-à-dire que la hauteur moyenne de ces montagnes, prise du sommet jusqu’au pied, ou plutôt jusqu’aux cavernes qui dans cette hypothèse doivent les supporter, n’est que d’une lieue, ce qu’on m’accordera facilement, alors je dis que la force de l’explosion ou du tremblement de terre aura élevé, à une lieue