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Indien, principalement celui des îles Moluques, ne paraît être soutenu que sur des voûtes et des concavités. Celui des îles Açores, celui des îles Canaries, celui des îles du cap Vert, et en général le terrain de presque toutes les petites îles, est à l’intérieur creux et caverneux en plusieurs endroits, parce que ces îles ne sont, comme nous l’avons dit, que des pointes de montagnes où il s’est fait des éboulements considérables, soit par l’action des volcans, soit par celle des eaux, des gelées et des autres injures de l’air. Dans les Cordillères, où il y a plusieurs volcans et où les tremblements de terre sont fréquents, il y a aussi un grand nombre de cavernes, de même que dans le volcan de l’île de Banda, dans le mont Ararat, qui est un ancien volcan, etc.

Le fameux labyrinthe de l’île de Candie n’est pas l’ouvrage de la nature toute seule : M. de Tournefort assure que les hommes y ont beaucoup travaillé, et on doit croire que cette caverne n’est pas la seule que les hommes aient augmentée ; ils en forment même tous les jours de nouvelles en fouillant les mines et les carrières, et, lorsqu’elles sont abandonnées pendant un très long espace de temps, il n’est pas fort aisé de reconnaître si ces excavations ont été produites par la nature ou faites de la main des hommes. On connaît des carrières qui sont d’une étendue très considérable, celle de Maëstricht, par exemple, où l’on dit que 50 000 personnes peuvent se réfugier, et qui est soutenue par plus de mille piliers qui ont vingt ou vingt-quatre pieds de hauteur ; l’épaisseur de terre et de rocher qui est au-dessus est de plus de vingt-cinq brasses : il y a dans plusieurs endroits de cette carrière de l’eau et de petits étangs où on peut abreuver du bétail, etc. (Voyez Trans. Phil. Abr., vol. II, p. 463.) Les mines de sel de Pologne forment des excavations encore plus grandes que celle-ci ; il y a ordinairement de vastes carrières auprès de toutes les grandes villes, mais nous n’en parlerons pas ici en détail ; d’ailleurs, les ouvrages des hommes, quelque grands qu’ils puissent être, ne tiendront jamais qu’une bien petite place dans l’histoire de la nature.

Les volcans et les eaux, qui produisent les cavernes à l’intérieur, forment aussi à l’extérieur des fentes, des précipices et des abîmes. À Cajéta, en Italie, il y a une montagne qui autrefois a été séparée par un tremblement de terre, de façon qu’il semble que la division en a été faite par la main des hommes. Nous avons déjà parlé de l’ornière de l’île de Machian, de l’abîme du mont Ararat, de la porte des Cordillères et de celle des Thermopyles, etc. ; nous pouvons y ajouter la porte de la montagne des Troglodytes, en Arabie, celle des Échelles en Savoie, que la nature n’avait fait qu’ébaucher, et que Victor-Amédée a fait achever ; les eaux produisent, aussi bien que les feux souterrains, des affaissements de terre considérables, des éboulements, des chutes de rochers, des renversements de montagnes dont nous pouvons donner plusieurs exemples.

« Au mois de juin 1714, une partie de la montagne de Diablerets, en Valais, tomba subitement et tout à la fois entre deux et trois heures après midi, le ciel étant fort serein ; elle était de figure conique ; elle renversa cinquante-cinq cabanes de paysans, écrasa quinze personnes et plus de cent bœufs et vaches, et beaucoup plus de menu bétail, et couvrit de ses débris une bonne lieue carrée ; il y eut une profonde obscurité causée par la poussière ; les tas de pierres amassés en bas sont hauts de plus de trente perches, qui sont apparemment des perches du Rhin de dix pieds ; ces amas ont arrêté des eaux qui forment de nouveaux lacs fort profonds ; il n’y a dans tout cela nul vestige de matière bitumeuse, ni de soufre, ni de chaux cuite, ni par conséquent de feu souterrain : apparemment, la base de ce grand rocher s’était pourrie d’elle-même et réduite en poussière. » (Hist. de l’Acad. des Scienc., p. 4, an. 1715.)

On a un exemple remarquable de ces affaissements dans la province de Kent, auprès de Folkstone ; les collines des environs ont baissé de distance en distance par un mouvement insensible et sans aucun tremblement de terre. Ces collines sont à l’intérieur de rochers de pierre et de craie ; par cet affaissement, elles ont jeté dans la mer des rochers