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elles y forment des congélations différentes, suivant les différentes matières qu’elles déposent : par exemple, lorsque ces eaux gouttières criblent à travers la marne, la craie ou la pierre tendre, la matière qu’elles déposent n’est aussi qu’une marne très pure et très fine qui se pelotonne ordinairement dans les fentes perpendiculaires des rochers sous la forme d’une substance poreuse, molle, ordinairement fort blanche et très légère, que les naturalistes ont appelé Lac lunæ ou Medulla saxi.

Lorsque ces filets d’eau chargée de matière lapidifique s’écoulent par les points horizontaux des lits de pierre tendre ou de craie, cette matière s’attache à la superficie des blocs de pierre et elle y forme une croûte écailleuse, blanche, légère et spongieuse ; c’est cette espèce de matière que quelques auteurs ont nommée Agaric minéral, par sa ressemblance avec l’Agaric végétal. Mais si la matière des couches a un certain degré de dureté, c’est-à-dire si les lits de la carrière sont de pierre dure ordinaire, de pierre propre à faire de la bonne chaux, le filtre étant alors plus serré, l’eau en sortira chargée d’une matière lapidifique plus pure, plus homogène, et dont les molécules pourront s’engrainer plus exactement, s’unir plus intimement, et alors il s’en formera des congélations qui auront à peu près la dureté de la pierre et un peu de transparence, et l’on trouvera dans ces carrières, sur la superficie des blocs, des incrustations pierreuses disposées en ondes, qui remplissent entièrement les joints horizontaux.

Dans les grottes et dans les cavités des rochers, qu’on doit regarder comme les bassins et les égouts des fentes perpendiculaires, la direction diverse des filets d’eau qui charrient la matière lapidifique donne aux concrétions qui en résultent des formes différentes : ce sont ordinairement des culs-de-lampe et des cônes renversés qui sont attachés à la voûte, ou bien ce sont des cylindres creux et très blancs formés par des couches presque concentriques à l’axe du cylindre, et ces congélations descendent quelquefois jusqu’à terre et forment dans ces lieux souterrains des colonnes et mille autres figures aussi bizarres que les noms qu’il a plu aux naturalistes de leur donner : tels sont ceux de stalactites, stélegmites, ostéocolles, etc.

Enfin, lorsque ces sucs concrets sortent immédiatement d’une matière très dure, comme des marbres et des pierres dures, la matière lapidifique que l’eau charrie étant aussi homogène qu’elle peut l’être, et l’eau en ayant, pour ainsi dire, plutôt dissous que détaché les petites parties constituantes, elle prend en s’unissant une figure constante et régulière, elle forme des colonnes à pans, terminées par une pointe triangulaire, qui sont transparentes et composées de couches obliques : c’est ce qu’on appelle Sparr ou Spalt. Ordinairement cette matière est transparente et sans couleur, mais quelquefois aussi elle est colorée lorsque la pierre dure ou le marbre dont elle sort contient des parties métalliques. Ce sparr a le degré de dureté de la pierre, il se dissout, comme la pierre, par les esprits acides, il se calcine au même degré de chaleur. : ainsi on ne peut pas douter que ce ne soit de la vraie pierre, mais qui est devenue parfaitement homogène ; on pourrait même dire que c’est de la pierre pure et élémentaire, de la pierre qui est sous sa forme propre et spécifique.

Cependant la plupart des naturalistes regardent cette matière comme une substance distincte et existante indépendamment de la pierre, c’est leur suc lapidifique ou cristallin qui, selon eux, lie non seulement les parties de la pierre ordinaire, mais même celles du caillou. Ce suc, disent-ils, augmente la densité des pierres par des infiltrations réitérées, il les rend chaque jour plus pierres qu’elles n’étaient, et il les convertit enfin en véritable caillou ; et lorsque ce suc s’est fixé en sparr, il reçoit par des infiltrations réitérées de semblables sucs encore plus épurés qui en augmentent la densité et la dureté ; en sorte que cette matière ayant été successivement sparr, verre, ensuite cristal, elle devient diamant : ainsi toutes les pierres, selon eux, tendent à devenir caillou, et toutes les matières transparentes à devenir diamant.