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Il y a de très grands marécages en Angleterre dans la province de Lincoln près de la mer, qui a perdu beaucoup de terrain d’un côté et en a gagné de l’autre. On trouve dans l’ancien terrain une grande quantité d’arbres qui y sont enterrés au-dessous du nouveau terrain amené par les eaux ; on en trouve de même en grande quantité en Écosse, à l’embouchure de la rivière Ness. Auprès de Bruges en Flandre, en fouillant à 40 ou 50 pieds de profondeur, on trouve une très grande quantité d’arbres aussi près les uns des autres que dans une forêt ; les troncs, les rameaux et les feuilles sont si bien conservés qu’on distingue aisément les différentes espèces d’arbres. Il y a 500 ans que cette terre, où l’on trouve des arbres, était une mer, et avant ce temps-là on n’a point de mémoire ni de tradition que jamais cette terre eût existé : cependant il est nécessaire que cela ait été ainsi dans le temps que ces arbres ont crû et végété ; ainsi le terrain, qui dans les temps les plus reculés était une terre ferme couverte de bois, a été ensuite couvert par les eaux de la mer, qui y ont amené 40 ou 50 pieds d’épaisseur de terre, et ensuite ces eaux se sont retirées. On a de même trouvé une grande quantité d’arbres souterrains à Youle dans la province d’York, à douze milles au-dessous de la ville, sur la rivière Humbert ; il y en a qui sont si gros qu’on s’en sert pour bâtir, et on assure, peut-être mal à propos, que ce bois est aussi durable et d’aussi bon servies que le chêne ; on en coupe en petites baguettes et en longs copeaux que l’on envoie vendre dans les villes voisines, et les gens s’en servent pour allumer leur pipe. Tous ces arbres paraissent rompus, et les troncs sont séparés de leurs racines, comme des arbres que la violence d’un ouragan ou d’une inondation aurait cassés et emportés ; ce bois ressemble beaucoup au sapin, il a la même odeur lorsqu’on le brûle, et fait des charbons de la même espèce. (Voyez Trans. phil. no 228.) Dans l’île de Man, on trouve dans un marais qui a six milles de long et trois milles de large, appelé Curragh, des arbres souterrains qui sont des sapins, et, quoiqu’ils soient à 18 ou 20 pieds de profondeur, ils sont cependant fermes sur leurs racines. (Voyez Ray’s Disc., page 232.) On en trouve ordinairement dans tous les grands marais, dans les fondrières et dans la plupart des endroits marécageux, dans les provinces de Sommerset, de Chester, de Lancastre, de Stafford. Il y a de certains endroits où l’on trouve des arbres sous terre qui ont été coupés, sciés, équarris et travaillés par les hommes : on y a même trouvé des cognées et des serpes, et entre Birmingham et Brumley, dans la province de Lincoln, il y a des collines élevées de sable fin et léger que les pluies et les vents emportent et transportent en laissant à sec et à découvert des racines de grands sapins, où l’impression de la cognée paraît encore aussi fraîche que si elle venait d’être faite. Ces collines se seront sans doute formées, comme les dunes, par des amas de sable que la mer a apporté et accumulé, et sur lesquels ces sapins auront pu croître ; ensuite ils auront été recouverts par d’autres sables qui y auront été amenés, comme les premiers, par des inondations ou par des vents violents. On trouve aussi une grande quantité de ces arbres souterrains dans les terres marécageuses de Hollande, dans la Frise et auprès de Groningue, et c’est de là que viennent les tourbes qu’on brûle dans tout le pays.

On trouve dans la terre une infinité d’arbres grands et petits de toute espèce, comme sapins, chênes, bouleaux, hêtres, ifs, aubépins, saules, frênes ; dans les marais de Lincoln, le long de la rivière d’Ouse, et dans la province d’York en Hatfield-Chace, ces arbres sont droits et plantés comme on les voit dans une forêt. Les chênes sont fort durs, et on en emploie dans les bâtiments, où ils durent fort longtemps[1] ; les frênes sont tendres et tombent en poussière, aussi bien que les saules ; on en trouve qui ont été équarris, d’autres sciés, d’autres percés, avec des cognées rompues, et des haches dont la

  1. Je doute beaucoup de la vérité de ce fait : tous les arbres qu’on tire de la terre, au moins tous ceux que j’ai vus, soit chênes, soit autres, perdent, en se desséchant, toute la solidité qu’ils paraissent avoir d’abord, et ne doivent jamais être employés dans les bâtiments.