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que la représentation très imparfaite de la chose, et nous ne pouvons jamais bien définir une chose sans la décrire exactement. C’est cette difficulté de faire une bonne définition que l’on retrouve à tout moment dans toutes les méthodes, dans tous les abrégés qu’on a tâché de faire pour soulager la mémoire ; aussi doit-on dire que dans les choses naturelles il n’y a rien de bien défini que ce qui est exactement décrit : or pour décrire exactement, il faut avoir vu, revu, examiné, comparé la chose qu’on veut décrire, et tout cela sans préjugé, sans idée de système, sans quoi la description n’a plus le caractère de la vérité, qui est le seul qu’elle puisse comporter. Le style même de la description doit être simple, net et mesuré, il n’est pas susceptible d’élévation, d’agréments, encore moins d’écarts, de plaisanterie ou d’équivoque ; le seul ornement qu’on puisse lui donner, c’est de la noblesse dans l’expression, du choix et de la propriété dans les termes.

Dans le grand nombre d’auteurs qui ont écrit sur l’histoire naturelle, il y en a fort peu qui aient bien décrit. Représenter naïvement et nettement les choses, sans les charger ni les diminuer, et sans rien y ajouter de son imagination, est un talent d’autant plus louable qu’il est moins brillant, et qu’il ne peut être senti que d’un petit nombre de personnes capables d’une certaine attention nécessaire pour suivre les choses jusque dans les petits détails : rien n’est plus commun que des ouvrages embarrassés d’une nombreuse et sèche nomenclature, de méthodes ennuyeuses et peu naturelles dont les auteurs croient se faire un mérite ; rien de si rare que de trouver l’exactitude dans les descriptions, de la nouveauté dans les faits, de la finesse dans les observations.

Aldrovande, le plus laborieux et le plus savant de tous les naturalistes, a laissé, après un travail de soixante ans, des volumes immenses sur l’histoire naturelle, qui ont été imprimés successivement, et la plupart après sa mort : on les réduirait à la dixième partie si on en ôtait toutes les inutilités et toutes les choses étrangères à son sujet. À cette prolixité près, qui, je l’avoue, est accablante, ses livres doivent être regardés comme ce qu’il y a de mieux sur la totalité de l’histoire naturelle ; le plan de son ouvrage est bon, ses distributions sont sensées, ses divisions bien marquées, ses descriptions assez exactes, monotones, à la vérité, mais fidèles : l’historique est moins bon, souvent il est mêlé de fabuleux, et l’auteur y laisse voir trop de penchant à la crédulité.

J’ai été frappé, en parcourant cet auteur, d’un défaut ou d’un excès qu’on retrouve presque dans tous les livres faits il y a cent ou deux cents ans, et que les savants d’Allemagne ont encore aujourd’hui ; c’est de cette quantité d’érudition inutile dont ils grossissent à dessein leurs ouvrages, en sorte que le sujet qu’ils traitent est noyé dans une quantité de matières étrangères sur lesquelles ils raisonnent avec tant de complaisance et s’étendent avec si peu de ménagement pour les lecteurs, qu’ils semblent avoir oublié ce qu’ils