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sont actuellement des pâturages ; d’autre côté, il y a des terres fermes que la mer avec le temps vient à gagner et à couvrir, comme les terres de Goodwin, qui appartenaient à un seigneur de ce nom, et qui à présent ne sont plus que des sables couverts par les eaux de la mer ; ainsi la mer gagne en plusieurs endroits du terrain, et en perd dans d’autres ; cela dépend de la différente situation des côtes et des endroits où le mouvement des marées s’arrête, où les eaux transportent d’un endroit à l’autre les terres, les sables, les coquilles, etc. (Voyez Trans. Phil. Abr., vol. IV, p. 234.)

Sur la montagne de Stella, en Portugal, il y a un lac dans lequel on a trouvé des débris de vaisseaux, quoique cette montagne soit éloignée de la mer de plus de 12 lieues. (Voyez la Géographie de Gordon, édition de Londres, 1733, p. 149.) Sabinus, dans ses Commentaires sur les Métamorphoses d’Ovide, dit qu’il paraît, par les monuments de l’histoire, qu’en l’année 1460 on trouva dans une mine des Alpes un vaisseau avec ses ancres.

Ce n’est pas seulement en Europe que nous trouverons des exemples de ces changements de mer en terre, et de terre en mer ; les autres parties du monde nous en fourniraient peut-être de plus remarquables et en plus grand nombre si on les avait bien observées.

Calicut a été autrefois une ville célèbre et la capitale d’un royaume de même nom ; ce n’est aujourd’hui qu’une grande bourgade mal bâtie et assez déserte ; la mer, qui depuis un siècle a beaucoup gagné sur cette côte, a submergé la meilleure partie de l’ancienne ville, avec une belle forteresse de pierre de taille qui y était ; les barques mouillent aujourd’hui sur leurs ruines, et le port est rempli d’un grand nombre d’écueils qui paraissent dans les basses marées et sur lesquels les vaisseaux font assez souvent naufrage. (Voyez Lett. édif., Recueil II, p. 187.)

La province de Jucatan, péninsule dans le golfe du Mexique, a fait autrefois partie de la mer ; cette pièce de terre s’étend dans la mer à 100 lieues en longueur depuis le continent, et n’a pas plus de 25 dans sa plus grande largeur ; la qualité de l’air y est tout à fait chaude et humide : quoiqu’il n’y ait ni ruisseaux ni rivières dans un si long espace, l’eau est partout si proche, et l’on trouve, en ouvrant la terre, un si grand nombre de coquillages, qu’on est porté à regarder cette vaste étendue comme un lieu qui a fait autrefois partie de la mer.

Les habitants de Malabar prétendent qu’autrefois les îles Maldives étaient attachées au continent des Indes, et que la violence de la mer les en a séparées ; le nombre de ces îles est si grand, et quelques-uns des canaux qui les séparent sont si étroits, que les beauprés des vaisseaux qui y passent font tomber les feuilles des arbres de l’un et de l’autre côté ; et en quelques endroits un homme vigoureux se tenant à une branche d’arbre peut sauter dans une autre île. (Voyez les Voyages des Hollandais aux Indes orientales, p. 274.) Une preuve que le continent des Maldives était autrefois une terre sèche, ce sont les cocotiers qui sont au fond de la mer : il s’en détache souvent des cocos qui sont rejetés sur le rivage par la tempête ; les Indiens en font grand cas et leur attribuent les mêmes vertus qu’au bézoard.

On croit qu’autrefois l’île de Ceylan était unie au continent et en faisait partie, mais que les courants, qui sont extrêmement rapides en beaucoup d’endroits des Indes, l’ont séparée et en ont fait une île ; on croit la même chose à l’égard des îles de Rammanakoiel et de plusieurs autres. (Voyez Voyages des Hollandais aux Indes orientales, t. VI, p. 485.) Ce qu’il y a de certain, c’est que l’île de Ceylan a perdu 30 ou 40 lieues de terrain du côté du nord-ouest, que la mer a gagnées successivement.

Il paraît que la mer a abandonné depuis peu une grande partie des terres avancées et des îles de l’Amérique ; on vient de voir que le terrain de Jucatan n’est composé que de coquilles ; il en est de même des basses terres de la Martinique et des autres îles Antilles. Les habitants ont appelé le fond de leur terrain la chaux, parce qu’ils font de la chaux