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avaient à vous dire, pour ne vous raconter que ce qu’ont dit les autres. Je me représente un homme comme Aldrovande, ayant une fois conçu le dessein de faire un corps complet d’histoire naturelle ; je le vois dans sa bibliothèque lire successivement les anciens, les modernes, les philosophes, les théologiens, les jurisconsultes, les historiens, les voyageurs, les poètes, et lire sans autre but que de saisir tous les mots, toutes les phrases qui de près ou de loin ont rapport à son objet ; je le vois copier et faire copier toutes ces remarques et les ranger par lettres alphabétiques, et après avoir rempli plusieurs portefeuilles de notes de toute espèce, prises souvent sans examen et sans choix, commencer à travailler un sujet particulier, et ne vouloir rien perdre de tout ce qu’il a ramassé ; en sorte qu’à l’occasion de l’histoire naturelle du coq ou du bœuf, il vous raconte tout ce qui a jamais été dit des coqs ou des bœufs, tout ce que les anciens en ont pensé, tout ce qu’on a imaginé de leurs vertus, de leur caractère, de leur courage, toutes les choses auxquelles on a voulu les employer, tous les contes que les bonnes femmes en ont faits, tous les miracles qu’on leur a fait faire dans certaines religions, tous les sujets de superstition qu’ils ont fournis, toutes les comparaisons que les poètes en ont tirées, tous les attributs que certains peuples leur ont accordés, toutes les représentations qu’on en fait dans les hiéroglyphes, dans les armoiries, en un mot toutes les histoires et toutes les fables dont on s’est jamais avisé au sujet des coqs ou des bœufs. Qu’on juge après cela de la portion d’histoire naturelle qu’on doit s’attendre à trouver dans ce fatras d’écritures ; et si en effet l’auteur ne l’eût pas mise dans des articles séparés des autres, elle n’aurait pas été trouvable, ou du moins elle n’aurait pas valu la peine d’y être cherchée.

On s’est tout à fait corrigé de ce défaut dans ce siècle ; l’ordre et la précision avec laquelle on écrit maintenant ont rendu les sciences plus agréables, plus aisées, et je suis persuadé que cette différence de style contribue peut-être autant à leur avancement que l’esprit de recherche qui règne aujourd’hui ; car nos prédécesseurs cherchaient comme nous, mais ils ramassaient tout ce qui se présentait, au lieu que nous rejetons ce qui nous paraît avoir peu de valeur, et que nous préférons un petit ouvrage bien raisonné à un gros volume bien savant ; seulement il est à craindre que venant à mépriser l’érudition, nous ne venions aussi à imaginer que l’esprit peut suppléer à tout, et que la science n’est qu’un vain nom.

Les gens sensés cependant sentiront toujours que la seule et vraie science est la connaissance des faits, l’esprit ne peut pas y suppléer, et les faits sont dans les sciences ce qu’est l’expérience dans la vie civile. On pourrait donc diviser toutes les sciences en deux classes principales, qui contiendraient tout ce qu’il convient à l’homme de savoir ; la première est l’histoire civile, et la seconde, l’histoire naturelle, toutes deux fondées sur des faits qu’il est souvent important et toujours agréable de connaître : la première est l’étude