Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des hommes d’État, la seconde est celle des philosophes ; et quoique l’utilité de celle-ci ne soit peut-être pas aussi prochaine que celle de l’autre, on peut cependant assurer que l’histoire naturelle est la source des autres sciences physiques et la mère de tous les arts : combien de remèdes excellents la médecine n’a-t-elle pas tirés de certaines productions de la nature jusqu’alors inconnues ! combien de richesses les arts n’ont-ils pas trouvées dans plusieurs matières autrefois méprisées ! Il y a plus, c’est que toutes les idées des arts ont leurs modèles dans les productions de la nature : Dieu a créé, et l’homme imite ; toutes les inventions des hommes, soit pour la nécessité, soit pour la commodité, ne sont que des imitations assez grossières de ce que la nature exécute avec la dernière perfection.

Mais sans insister plus longtemps sur l’utilité qu’on doit tirer de l’histoire naturelle, soit par rapport aux autres sciences, soit par rapport aux arts, revenons à notre objet principal, à la manière de l’étudier et de la traiter. La description exacte de l’histoire fidèle de chaque chose est, comme nous l’avons dit, le seul but qu’on doive se proposer d’abord. Dans la description, l’on doit faire entrer la forme, la grandeur, le poids, les couleurs, les situations de repos et de mouvements, la position des parties, leurs rapports, leur figure, leur action et toutes les fonctions extérieures ; si l’on peut joindre à tout cela l’exposition des parties intérieures, la description n’en sera que plus complète ; seulement on doit prendre garde de tomber dans de trop petits détails, ou de s’appesantir sur la description de quelque partie peu importante, et de traiter trop légèrement les choses essentielles et principales. L’histoire doit suivre la description, et doit uniquement rouler sur les rapports que les choses naturelles ont entre elles et avec nous : l’histoire d’un animal doit être non pas l’histoire d’un individu, mais celle de l’espèce entière de ces animaux ; elle doit comprendre leur génération, le temps de l’imprégnation, celui de l’accouchement, le nombre des petits, les soins des pères et des mères, leur espèce d’éducation, leur instinct, les lieux de leur habitation, leur nourriture, la manière dont ils se la procurent, leurs mœurs, leurs ruses, leur chasse, ensuite les services qu’ils peuvent nous rendre, et toutes les utilités ou les commodités que nous pouvons en tirer ; et lorsque dans l’intérieur du corps de l’animal il y a des choses remarquables, soit par la conformation, soit pour les usages qu’on en peut faire, on doit les ajouter ou à la description ou à l’histoire ; mais ce serait un objet étranger à l’histoire naturelle[NdÉ 1] que d’entrer dans un examen anatomique trop circon-

  1. Contrairement à l’opinion de Buffon, nous pensons que la seule manière de faire l’histoire naturelle complète d’un animal ou d’un végétal consiste à l’envisager de tous les points de vue. Il ne suffit pas d’observer à l’état adulte ses caractères extérieurs ; il faut encore étudier avec le soin le plus minutieux son organisation anatomique ; puis suivre pas à pas les diverses phases de son évolution, depuis la formation de l’œuf jusqu’à la mort de l’individu qui en est dérivé, en notant toutes les modifications que l’âge apporte dans les caractères extérieurs et dans l’organisation anatomique ou histologique. En même temps il