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» Lorsque les eaux de la mer ont entièrement monté, le courant va vers le nord-ouest, et ensuite vers le nord : vers le milieu du reflux, il recommence son cours, après l’avoir suspendu pendant quelques moments…

» Le principal phénomène qu’on y observe est son retour par l’ouest du sud-sud-est vers le nord, ainsi que du nord vers le sud-est. S’il ne revenait pas par le même chemin, il serait fort difficile et presque impossible de passer de la pointe de Lofœde aux deux grandes îles de Woerœn et de Roest. Il y a cependant aujourd’hui deux paroisses qui seraient nécessairement sans habitants, si le courant ne prenait pas le chemin que je viens de dire ; mais, comme il le prend en effet, ceux qui veulent passer de la pointe de Lofœde à ces deux îles attendent que la mer ait monté à moitié, parce qu’alors le courant se dirige vers l’ouest : lorsqu’ils veulent revenir de ces îles vers la pointe de Lofœde, ils attendent le mi-reflux, parce qu’alors le courant est dirigé vers le continent ; ce qui fait qu’on passe avec beaucoup de facilité… Or, il n’y a point de courant sans pente ; et ici l’eau monte d’un côté et descend de l’autre…

» Pour se convaincre de cette vérité, il suffit de considérer qu’il y a une petite langue de terre qui s’étend à seize milles de Norvège dans la mer, depuis la pointe de Lofœde, qui est le plus à l’ouest, jusqu’à celle de Loddinge, qui est la plus orientale. Cette petite langue de terre est environnée par la mer ; et, soit pendant le flux, soit pendant le reflux, les eaux y sont toujours arrêtées, parce qu’elles ne peuvent avoir d’issue que par six petits détroits ou passages qui divisent cette langue de terre en autant de parties. Quelques-uns de ces détroits ne sont larges que d’un demi-quart de mille, et quelquefois moitié moins ; ils ne peuvent donc contenir qu’une petite quantité d’eau. Ainsi, lorsque la mer monte, les eaux qui vont vers le nord s’arrêtent en grande partie au sud de cette langue de terre : elles sont donc bien plus élevées vers le sud que vers le nord. Lorsque la mer se retire et va vers le sud, il arrive pareillement que les eaux s’arrêtent en grande partie au nord de cette langue de terre, et sont par conséquent bien plus hautes vers le nord que vers le sud.

» Les eaux arrêtées de cette manière, tantôt au nord, tantôt au sud, ne peuvent trouver d’issue qu’entre la pointe de Lofœde et de l’île de Woerœn, et qu’entre cette île et celle de Roest.

» La pente qu’elles ont, lorsqu’elles descendent, cause la rapidité du courant ; et, par la même raison, cette rapidité est plus grande vers la pointe de Lofœde que partout ailleurs. Comme cette pointe est plus près de l’endroit où les eaux s’arrêtent, la pente y est aussi plus forte ; et plus les eaux du courant s’étendent vers les îles de Woerœn et de Roest, plus il perd de sa vitesse…

» Après cela, il est aisé de concevoir pourquoi ce courant est toujours diamétralement opposé à celui des eaux de la mer. Rien ne s’oppose à celles-ci, soit qu’elles montent, soit qu’elles descendent ; au lieu que celles qui sont arrêtées au-dessus de la pointe de Lofœde ne peuvent se mouvoir ni en ligne droite, ni au-dessus de cette même pointe tant que la mer n’est point descendue plus bas et n’a pas, en se retirant, emmené les eaux que celles qui sont arrêtées au-dessus de Lofœde doivent remplacer…

» Au commencement du flux et du reflux, les eaux de la mer ne peuvent pas détourner celles du courant ; mais, lorsqu’elles ont monté ou descendu à moitié, elles ont assez de force pour changer sa direction. Comme il ne peut alors se tourner vers l’est, parce que l’eau est toujours stable près de la pointe de Lofœde, ainsi que je l’ai déjà dit, il faut nécessairement qu’il aille vers l’ouest où l’eau est plus basse[1]. » Cette explication me paraît bonne et conforme aux vrais principes de la théorie des eaux courantes.

Nous devons encore ajouter ici la description du fameux courant de Carybde et Scylla,

  1. Description du courant de Mosckoe, etc. Journal étranger, février 1758, p. 25.