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l’identité de leurs espèces[NdÉ 1]. Il paraît aussi que les eaux de la mer ont séjourné quelque temps sur cette terre, puisqu’on trouve en plusieurs endroits des bancs de coquilles si prodigieux et si étendus, qu’il n’est pas possible qu’une aussi grande[1] multitude d’animaux ait été tout à la fois vivante en même temps : cela semble prouver aussi que, quoique les matières qui composent la surface de la terre fussent alors dans un état de mollesse qui les rendait susceptibles d’être aisément divisées, remuées et transportées par les eaux, ces mouvements ne se sont pas faits tout à coup, mais successivement et par degrés ; et comme on trouve quelquefois des productions de la mer à mille et douze cents pieds de profondeur, il paraît que cette épaisseur de terre ou de pierre étant si considérable, il a fallu des années pour la produire : car quand on voudrait supposer que dans le déluge universel tous les coquillages eussent été enlevés du fond des mers et transportés sur toutes les parties de la terre, outre que cette supposition serait difficile à établir[2], il est clair que, comme on trouve ces coquilles incorporées et pétrifiées dans les marbres et dans les rochers des plus hautes montagnes, il faudrait donc supposer que ces marbres et ces rochers eussent été tous formés en même temps et précisément dans l’instant du déluge, et qu’avant cette grande révolution il n’y avait sur le globe terrestre ni montagnes, ni marbres, ni rochers, ni craies, ni aucune autre matière semblable à celles que nous connaissons, qui presque toutes contiennent des coquilles et d’autres débris des productions de la mer. D’ailleurs, la surface de la terre devait avoir acquis au temps du déluge un degré considérable de solidité, puisque la gravité avait agi sur les matières qui la composent, pendant plus de seize siècles, et par conséquent il ne paraît pas possible que les eaux du déluge aient pu bouleverser les terres à la surface du globe jusqu’à d’aussi grandes profondeurs dans le peu de temps que dura l’inondation universelle.

Mais, sans insister plus longtemps sur ce point qui sera discuté dans la suite, je m’en tiendrai maintenant aux observations qui sont constantes, et aux faits qui sont certains. On ne peut douter que les eaux de la mer n’aient séjourné sur la surface de la terre que nous habitons, et que, par conséquent, cette même surface de notre continent n’ait été pendant quelque temps le fond d’une mer, dans laquelle tout se passait comme tout se passe actuellement dans la mer d’aujourd’hui : d’ailleurs, les couches des différentes matières qui composent la terre étant, comme nous l’avons remarqué[3],

  1. Voyez les Preuves, art. viii.
  2. Voyez les Preuves, art. v.
  3. Voyez les Preuves, art. vii.
  1. Il n’existe en réalité qu’un nombre relativement petit d’espèces d’animaux fossiles semblables aux espèces actuelles, mais ici Buffon donne évidemment au mot espèce une extension beaucoup plus considérable que celle qu’il comporte dans la taxinomie des êtres vivants. S’il en est ainsi, il est dans le vrai, car beaucoup d’espèces fossiles ne diffèrent que très peu des espèces actuelles.