Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

main de Dieu, lorsqu’elle donna le branle à l’univers ; mais comme on doit, autant qu’on peut, en physique s’abstenir d’avoir recours aux causes qui sont hors de la nature, il me paraît que, dans le système solaire, on peut rendre raison de cette force d’impulsion d’une manière assez vraisemblable, et qu’on peut en trouver une cause dont l’effet s’accorde avec les règles de la mécanique, et qui d’ailleurs ne s’éloigne pas des idées qu’on doit avoir au sujet des changements et des révolutions qui peuvent et doivent arriver dans l’univers.

La vaste étendue du système solaire, ou, ce qui revient au même, la sphère de l’attraction du soleil ne se borne pas à l’orbe des planètes, même les plus éloignées, mais elle s’étend à une distance indéfinie, toujours en décroissant, dans la même raison que le carré de la distance augmente ; il est démontré que les comètes, qui se perdent à nos yeux dans la profondeur du ciel, obéissent à cette force, et que leur mouvement, comme celui des planètes, dépend de l’attraction du soleil. Tous ces astres, dont les routes sont si différentes, décrivent autour du soleil des aires proportionnelles aux temps, les planètes dans des ellipses plus ou moins approchantes d’un cercle, et les comètes dans des ellipses fort allongées. Les comètes et les planètes se meuvent donc en vertu de deux forces : l’une d’attraction et l’autre d’impulsion, qui, agissant à la fois et à tout instant, les obligent à décrire ces courbes ; mais il faut remarquer que les comètes parcourent le système solaire dans toute sorte de directions, et que les inclinaisons des plans de leurs orbites sont fort différentes entre elles, en sorte que quoique sujettes, comme les planètes, à la même force d’attraction, les comètes n’ont rien de commun dans leur mouvement d’impulsion ; elles paraissent à cet égard absolument indépendantes les unes des autres. Les planètes, au contraire, tournent toutes dans le même sens autour du soleil, et presque dans le même plan, n’y ayant que sept degrés et demi d’inclinaison entre les plans les plus éloignés de leurs orbites : cette conformité de position et de direction dans le mouvement des planètes suppose nécessairement quelque chose de commun dans leur mouvement d’impulsion, et doit faire soupçonner qu’il leur a été communiqué par une seule et même cause.

Ne peut-on pas imaginer avec quelque sorte de vraisemblance qu’une comète, tombant sur la surface du soleil, aura déplacé cet astre, et qu’elle en aura séparé quelques petites parties auxquelles elle aura communiqué un mouvement d’impulsion dans le même sens et par un même choc, en sorte que les planètes auraient autrefois appartenu au corps du soleil, et qu’elles en auraient été détachées par une force impulsive commune à toutes, qu’elles conservent encore aujourd’hui ?

Cela me paraît au moins aussi probable que l’opinion de M. Leibniz qui prétend que les planètes et la terre ont été des soleils, et je crois que son système, dont on trouvera le précis à l’article cinquième, aurait acquis un grand degré de généralité et un peu plus de probabilité, s’il se fût élevé à cette idée. C’est ici le cas de croire avec lui que la chose arriva dans le temps que Moïse dit que Dieu sépara la lumière des ténèbres ; car, selon Leibniz, la lumière fut séparée des ténèbres lorsque les planètes s’éteignirent. Mais ici la séparation est physique et réelle, puisque la matière opaque qui compose les corps des planètes fut réellement séparée de la matière lumineuse qui compose le soleil.

Cette idée sur la cause du mouvement d’impulsion des planètes paraîtra moins hasardée lorsqu’on rassemblera toutes les analogies qui y ont rapport, et qu’on voudra se donner la peine d’en estimer les probabilités. La première est cette direction commune de leur mouvement d’impulsion, qui fait que les six planètes vont toutes d’occident en orient : il y a déjà 64 à parier contre un qu’elles n’auraient pas eu ce mouvement dans le même sens, si la même cause ne l’avait pas produit, ce qu’il est aisé de prouver par la doctrine des hasards.

Cette probabilité augmentera prodigieusement par la seconde analogie, qui est que