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lieu, et que ces étoiles que l’on appelle nouvelles, qui ont probablement changé de lieu, se sont éteintes aux yeux mêmes des observateurs ? Ceci se confirme par ce qu’on a observé sur les comètes : elles doivent brûler jusqu’au centre lorsqu’elles passent à leur périhélie ; cependant elles ne deviennent pas lumineuses par elles-mêmes : on voit seulement qu’elles exhalent des vapeurs brûlantes dont elles laissent en chemin une partie considérable.

J’avoue que, si le feu peut exister dans un milieu où il n’y a point ou très peu de résistance, il pourrait aussi souffrir un très grand mouvement sans s’éteindre ; j’avoue aussi que ce que je viens de dire ne doit s’entendre que des étoiles qui disparaissent pour toujours, et que celles qui ont des retours périodiques, et qui se montrent et disparaissent alternativement, sans changer de lieu, sont fort différentes de celles dont je parle ; les phénomènes de ces astres singuliers ont été expliqués d’une manière très satisfaisante par M. de Maupertuis dans son Discours sur la figure des astres, et je suis convaincu qu’en partant des faits qui nous sont connus, il n’est pas possible de mieux deviner qu’il l’a fait ; mais les étoiles qui ont paru et ensuite disparu pour toujours se sont vraisemblablement éteintes, soit par la vitesse de leur mouvement, soit par quelque autre cause, et nous n’avons point d’exemple dans la nature qu’un astre lumineux tourne autour d’un autre astre ; de vingt-huit ou trente comètes et de treize planètes qui composent notre système, et qui se meuvent autour du soleil avec plus ou moins de rapidité, il n’y en a pas une de lumineuse par elle-même.

On pourrait répondre encore que le feu ne peut pas subsister aussi longtemps dans les petites que dans les grandes masses, et qu’au sortir du soleil les planètes ont dû brûler pendant quelque temps, mais qu’elles se sont éteintes faute de matières combustibles, comme le soleil s’éteindra probablement par la même raison, mais dans des âges futurs et aussi éloignés des temps auxquels les planètes se sont éteintes, que sa grosseur l’est de celle des planètes : quoi qu’il en soit, la séparation des parties plus ou moins denses, qui s’est faite nécessairement dans le temps que la comète a poussé hors du soleil la matière des planètes me paraît suffisante pour rendre raison de cette extinction de leurs feux.

La terre et les planètes au sortir du soleil étaient donc brûlantes et dans un état de liquéfaction totale ; cet état de liquéfaction n’a duré qu’autant que la violence de la chaleur qui l’avait produit ; peu à peu, les planètes se sont refroidies, et c’est dans le temps de cet état de fluidité causée par le feu, qu’elles auront pris leur figure, et que leur mouvement de rotation aura fait élever les parties de l’équateur en abaissant les pôles. Cette figure, qui s’accorde si bien avec les lois de l’hydrostatique, suppose nécessairement que la terre et les planètes aient été dans un état de fluidité, et je suis de l’avis de M. Leibniz[1] ; cette fluidité était une liquéfaction causée par la violence de la chaleur ; l’intérieur de la terre doit être une matière vitrifiée dont les sables, les grès, le roc vif, les granités, et peut-être les argiles, sont des fragments et des scories.

On peut donc croire, avec quelque vraisemblance, que les planètes ont appartenu au soleil ; qu’elles en ont été séparées par un seul coup qui leur a donné un mouvement d’impulsion dans le même sens et dans le même plan, et que leur position à différentes densités. Il reste maintenant à expliquer par la même théorie le mouvement de rotation des planètes et la formation des satellites ; mais ceci, loin d’ajouter des difficultés ou des impossibilités à notre hypothèse, semble au contraire la confirmer.

Car le mouvement de rotation dépend uniquement de l’obliquité du coup ; et il est nécessaire qu’une impulsion, dès qu’elle est oblique à la surface d’un corps, donne à ce corps un mouvement de rotation ; ce mouvement de rotation sera égal et toujours le même, si le corps qui le reçoit est homogène, et il sera inégal si le corps est composé de

  1. Protogæa, aut G. G. L. Act. Er. Lips., an. 1692.