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2o N’est-il pas très probable que plusieurs corps qui ont la même direction dans leur mouvement ont reçu cette direction par un seul ou par plusieurs coups dirigés dans le même sens ?

3o N’est-il pas tout à fait vraisemblable que plusieurs corps, ayant la même direction dans leur mouvement et leur position dans un même plan, n’ont pas reçu cette direction dans le même sens et cette position dans le même plan par plusieurs coups, mais par un seul et même coup ?

4o N’est-il pas très probable qu’en même temps qu’un corps reçoit un mouvement d’impulsion, il le reçoive obliquement, et que par conséquent il soit obligé de tourner sur lui-même, d’autant plus vite que l’obliquité du coup aura été plus grande ?

Si ces questions ne paraissent pas déraisonnables, le système, dont nous venons de donner une ébauche, cessera de paraître une absurdité.

Passons maintenant à quelque chose qui nous touche de plus près, et examinons la figure de la terre sur laquelle on a fait tant de recherches et de si grandes observations. La terre étant, comme il paraît par l’égalité de son mouvement diurne et la constance de l’inclinaison de son axe, composée de parties homogènes, et toutes ces parties s’attirant en raison de leurs masses, elle aurait pris nécessairement la figure d’un globe parfaitement sphérique, si le mouvement d’impulsion eût été donné dans une direction perpendiculaire à la surface ; mais ce coup ayant été donné obliquement, la terre a tourné sur son axe dans le même temps qu’elle a pris sa forme, et, de la combinaison de ce mouvement de rotation et de celui de l’attraction des parties, il a résulté une figure sphéroïde plus élevée sous le grand cercle de rotation, et plus abaissée aux deux extrémités de l’axe, et cela parce que l’action de la force centrifuge, provenant du mouvement de rotation, diminue l’action de la gravité ; ainsi la terre étant homogène, et ayant pris sa consistance en même temps qu’elle a reçu son mouvement de rotation, elle a dû prendre une figure sphéroïde dont les deux axes diffèrent d’une 230e partie. Ceci peut se démontrer à la rigueur et ne dépend point des hypothèses qu’on voudrait faire sur la direction de la pesanteur, car il n’est pas permis de faire des hypothèses contraires à des vérités établies, ou qu’on peut établir : or les lois de la pesanteur nous sont connues ; nous ne pouvons douter que les corps ne pèsent les uns sur les autres en raison directe de leurs masses et inverse du carré de leurs distances ; de même, nous ne pouvons pas douter que l’action générale d’une masse quelconque ne soit composée de toutes les actions particulières des parties de cette masse ; ainsi, il n’y a point d’hypothèse à faire sur la direction de la pesanteur, chaque partie de matière s’attire mutuellement en raison directe de sa masse et inverse du carré de la distance, et de toutes ces attractions il résulte une sphère, lorsqu’il n’y a point de rotation, et il en résulte un sphéroïde lorsqu’il y a rotation. Ce sphéroïde est plus ou moins accourci aux deux extrémités de l’axe de rotation, à proportion de la vitesse de ce mouvement, et la terre a pris, en vertu de sa vitesse de rotation et de l’attraction mutuelle de toutes ses parties, la figure d’un sphéroïde dont les deux axes sont entre eux comme 229 à 230.

Ainsi, par sa constitution originaire, par son homogénéité, et indépendamment de toute hypothèse sur la direction de la pesanteur, la terre a pris cette figure dans le temps de sa formation, et elle est, en vertu des lois de la mécanique, élevée nécessairement d’environ six lieues et demie à chaque extrémité du diamètre de l’équateur de plus que sous les pôles.

Je vais insister sur cet article, parce qu’il y a des géomètres qui croient que la figure de la terre dépend, dans la théorie, du système de philosophie qu’on embrasse, et de la direction qu’on suppose à la pesanteur. La première chose que nous ayons à démontrer, c’est l’attraction mutuelle de toutes les parties de la matière, et la seconde l’homogénéité du globe terrestre. Si nous faisons voir clairement que ces deux faits ne peuvent pas être