Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il paraît donc que la terre a pris, en vertu de l’attraction mutuelle de ses parties et de son mouvement de rotation, la figure d’un sphéroïde dont les deux axes diffèrent d’une 230e partie ; il paraît que c’est là sa figure primitive, qu’elle l’a prise nécessairement dans le temps de son état de fluidité ou de liquéfaction ; il paraît qu’en vertu des lois de la gravité et de la force centrifuge, elle ne peut avoir d’autre figure ; que du moment même de sa formation il y a eu cette différence, entre les deux diamètres, de six lieues et demie d’élévation de plus sous l’équateur que sous le pôle, et que, par conséquent, toutes les hypothèses par lesquelles on peut trouver plus ou moins de différence sont des fictions auxquelles il ne faut faire aucune attention.

Mais, dira-t-on, si la théorie est vraie, si le rapport de 229 à 230 est le vrai rapport des axes, pourquoi les mathématiciens envoyés en Laponie et au Pérou s’accordent-ils à donner le rapport de 174 à 175 ? D’où peut venir cette différence de la pratique à la théorie ? Et, sans faire tort au raisonnement qu’on vient de faire pour démontrer la théorie, n’est-il pas plus raisonnable de donner la préférence à la pratique et aux mesures, surtout quand on ne peut pas douter qu’elles n’aient été prises par les plus habiles mathématiciens de l’Europe (M. de Maupertuis, Figure de la Terre), et avec toutes les précautions nécessaires pour en constater le résultat ?

À cela je réponds que je n’ai garde de donner atteinte aux observations faites sous l’équateur et au cercle polaire, que je n’ai aucun doute sur leur exactitude, et que la terre peut bien être réellement élevée d’une 175e partie de plus sous l’équateur que sous les pôles ; mais, en même temps, je maintiens la théorie, et je vois clairement que ces deux résultats peuvent se concilier. Cette différence des deux résultats de la théorie et des mesures est d’environ quatre lieues dans les deux axes, en sorte que les parties sous l’équateur sont élevées de deux lieues de plus qu’elles ne doivent l’être suivant la théorie : cette hauteur de deux lieues répond assez juste aux plus grandes inégalités de la surface du globe ; elles proviennent du mouvement de la mer et de l’action des fluides à la surface de la terre. Je m’explique : il me paraît que, dans le temps que la terre s’est formée, elle a nécessairement dû prendre, en vertu de l’attraction mutuelle de ses parties et de l’action de la force centrifuge, la figure d’un sphéroïde dont les axes diffèrent d’une 230e partie ; la terre ancienne et originaire a eu nécessairement cette figure, qu’elle a prise lorsqu’elle était fluide, ou plutôt liquéfiée par le feu ; mais lorsque, après sa formation et son refroidissement, les vapeurs qui étaient étendues et raréfiées, comme nous voyons l’atmosphère et la queue d’une comète, se furent condensées, elles tombèrent sur la surface de la terre et formèrent l’air et l’eau, et lorsque ces eaux qui étaient à la surface furent agitées par le mouvement du flux et reflux, les matières furent entraînées peu à peu des pôles vers l’équateur, en sorte qu’il est possible que les parties des pôles se soient abaissées d’environ une lieue, et que les parties de l’équateur se soient élevées de la même quantité. Cela ne s’est pas fait tout à coup, mais peu à peu et dans la succession des temps ; la terre étant à l’extérieur exposée aux vents, à l’action de l’air et du soleil, toutes ces causes irrégulières ont concouru avec le flux et reflux pour sillonner sa surface, y creuser des profondeurs, y élever des montagnes, ce qui a produit des inégalités, des irrégularités dans cette couche de terre remuée, dont cependant la plus grande épaisseur ne peut être que d’une lieue sous l’équateur ; cette inégalité de deux lieues est peut-être la plus grande qui puisse être à la surface de la terre, car les plus hautes montagnes n’ont guère qu’une lieue de hauteur, et les plus grandes profondeurs de la mer n’ont peut-être pas une lieue. La théorie est donc vraie, et la pratique peut l’être aussi ; la terre a dû d’abord n’être élevée sous l’équateur que d’environ six lieues et demie de plus qu’au pôle, et ensuite, par les changements qui sont arrivés à sa surface, elle a pu s’élever davantage. L’histoire naturelle confirme merveilleusement cette opinion, et nous avons prouvé, dans le Discours précédent, que c’est le flux et reflux et les autres mouvements des eaux qui ont produit