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C’est ici que l’avocat du diable et l’avocat de Dieu se livrent de pieux et édifiants combats oratoires. L’avocat de Dieu, naturellement, représente les miracles observés comme l’œuvre du ciel et prêche pour son saint, c’est le cas de le dire. Et comme le diable possède de son côté la faculté de troubler l’ordre de la nature, il devient très difficile parfois de distinguer entre un miracle diabolique et un miracle divin. L’embarras des juges du sacré tribunal serait plus grand encore si l’avocat du diable, par un raffinement de rouerie plus qu’infernale, s’appliquait, à l’instar des philosophes, à expliquer des faits réputés surnaturels, au point de vue de l’enchaînement logique des événements, des lois de la nature et du simple bon sens.

Prenons, par exemple, un des miracles accomplis, au dire de M. Louis Veuillot, par l’intercession de la dernière sainte nommée, Germaine Cousin. Voici ce miracle :

Les confrères de la sainte épine, effrayés de voir Rome en 1849 aux mains des patriotes italiens et le pape en exil, s’adressèrent à Germaine Cousin pour la prier de prier en faveur du gouvernement des cardinaux. Ses prières furent exaucées et Rome fut prise d’assaut par l’armée française.

Dans l’hypothèse où nous plaçons pour un moment l’avocat du diable, que dirait-il ? La chose du monde la plus simple :

« Messieurs, dans les batailles, on l’a souvent répété, Dieu est toujours soit du côté des gros bataillons, soit avec les bataillons les plus braves ou les mieux commandés. La preuve de cette vérité, qui n’aurait pas besoin de preuve si les hommes voulaient rester dans la réalité, c’est qu’un roi devenu saint, ayant tenté avec un enthousiasme extraordinaire la plus pieuse des entreprises, celle de conquérir la terre sainte sur de vils mécréants, fut complètement battu, lui et tous les preux, à deux reprises différentes, par ces mêmes mécréants, détestés de Dieu, et qui pourtant sont encore en possession des lieux saints.

« Les chrétiens ne pouvant pas dire que le Tout-Puissant leur avait été favorable en cette circonstance, ce furent les mécréants qui se vantèrent d’avoir été protégés par lui. Ces infidèles, fidèles à Mahomet, s’abusaient étrangement. Ce qui les protégea dans ces guerres mémorables, c’est que les croisés étaient une mauvaise armée, mal commandée, épuisée par la maladie et les privations, tandis que les infidèles, eux, étaient de bonnes troupes, bien armées et combattant pour la défense de leur territoire. Je soutiens, messieurs, — ajouterait l’avocat du diable, — que les hommes de toutes les religions sont si enclins à voir partout le doigt de Dieu qu’ils se le mettent souvent dans l’œil, pour me servir d’une expression vulgaire mais saisissante.

« La preuve encore que le Seigneur, qui a prêché la paix et doit en conséquence détester la guerre, ne se mêle pas de décider dans les combats, c’est la bataille toute récente de Castelfidardo, gagnée par des excommuniés sur des zouaves pontificaux à la solde du gouverne-