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RÉMINISCENCES

Geoffrion étudiait le droit avec autant de conscience qu’il l’a pratiqué depuis, trop de conscience. Aussi, il n’était pas riche, mais en revanche il avait pour moi une amitié profonde. Je l’exploitais.

Quand nous étions bien bourrés de hachis, il s’agissait de lui faire un passage, et pour cela des exercices répétés et soutenus. Ayant séjourné cinq ans à Paris, j’y avais appris le maniement du fleuret. Je proposai à Geoffrion de le lui enseigner. Le malheureux y consentit, ne se doutant pas quelle perfidie cachait cette honnête proposition : « En garde, Geoff ». Et je le bourrais de pointes, de tierces, de coups droits, afin de lui montrer l’escrime, et pour le rendre tough, comme disait Jean-Baptiste Couillard Mimi des Prés de Boisbriand de l’Épinay.

Geoff se réfugiait dans les coins, derrière les tables, derrière les chaises, mais je ne permettais pas que l’exercice prit fin avant l’expiration de la demi-heure convenue. Geoff ruisselait de sueur. Il était devenu étonnamment « tough » et sa digestion était merveilleuse. Parfois Lusignan survenait. Il ramassait Geoff accablé, moulu, inerte. Il revêtait son plastron, son masque, saisissait son fleuret et s’élançait sur le principal locataire. À son tour, je le rendais « tough ». Il en avait pour un quart d’heure, puis il jetait là tout le bataclan, dans un dégoût profond.