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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

obstacle dont j’eusse à me défier, je me laissai porter mollement à la surface, et me livrai tranquillement à la contemplation de la nature. Je déviai peu à peu sans m’en apercevoir, et je glissais tout près d’un fort beau quai planté de peupliers, quand une vanne s’ouvrant tout à coup, je m’engouffrai dans le coursier d’un moulin. Après avoir donné ma part d’impulsion à la roue, je me trouvai dans un grand canal de décharge presque à sec en ce moment. J’y séjournai longtemps, mais sans ennui, car je me trouvais dans une poudrerie. J’observai avec la plus grande attention la manipulation de cette étrange substance qui porte la mort au loin avec la rapidité du regard. J’admirais le courage de ces hommes insouciants du danger, toujours imminent, d’une explosion, et qui, moyennant un modique salaire, exposent volontairement leurs jours pour fournir à d’autres hommes le moyen de se tuer plus promptement. Tout était riant et calme dans le séjour où la mort planait sans cesse ; de belles vaches paissaient aux environs des magasins annexés à chaque usine, et surtout autour des séchoirs, bâtis les uns et les autres sur le canal où je gisais, et séparés des usines qui donnaient sur le quai par une charmante allée. Les pauvres bêtes recherchaient avec avidité l’herbe noircie par la poudre qu’on répandait involontairement en la transportant d’un lieu à un autre, la présence du