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Après avoir parlé ainsi, j’ai fait semblant d’avoir envie de dormir. Ne faites pas de façon, me dit Nanette, mettez vous au lit : nous irons dormir dans l’autre chambre sur le canapé. — Je me croirois, fesant cela, le plus lache des hommes. Causons : l’envie de dormir me passera. Je suis seulement faché à cause de vous. C’est vous qui devriez vous coucher ; et c’est moi qu’irai dans l’autre chambre. Si vous me craignez enfermez vous ; mais vous auriez tort car je ne vous aime qu’avec des entrailles de frere — Nous ne ferons jamais cela, me dit Nanette. Laissez vous persuader : couchez vous ici — Habillé, je ne peux pas dormir — Deshabillez vous. Nous ne vous regarderons pas — Je ne crains pas cela ; mais je ne pourrois jamais m’endormir vous voyant obligées à veiller à cause de moi — Nous nous coucherons aussi, me dit Marton, mais sans nous deshabiller — Je vous assure que quand même vous vous deshabilleriez, je ne penserois pas à m’ecarter de mes devoirs. — Fort bien : mettez vous donc au lit. — Avec plaisir ; mais ; mais vous ne dites rien, belle Nanette. — Je me coucherai aussi malgré que ce soit un peu fort — Nous ne pouvons nous donner une preuve plus evidente ni de notre amitié, ni de notre confiance reciproque. Apres ce concordat d’après lequel nous savions peut être tous les trois ce qui devoit arriver, je me suis deshabillé leur tournant le dos, et je me suis mis entre les draps ; mais me tenant sur mon séant. Marton dit qu’il falloit éteindre la chandelle, et Nanette qui ne rioit plus, dit que c’étoit bien crainte d’accident, puisqu’en tout cas il y avoit un briquet.