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Mais il lui semble que je veuille trop voir, que je m’y prenne mal, que j’aille trop lentement, et que je touche il n’étoit pas necessaire que je touchasse : elle s’impatiente, elle me laisse, elle dechire, et s’arrange elle même ses culottes. Je lui mets bas, et souliers, puis je lui passe la chemise, et lui arrangeant le jabot, et le petit colet, elle trouve mes mains trop curieuses, car sa poitrine n’étoit pas garnie. Elle me chante pouille : elle m’appelle mal honete, mais je la laisse dire ; je ne voulois pas qu’elle me prit pour dupe, et d’ailleurs c’étoit une femme qu’on avoit payé cent mille écus, et qui devoit interesser un penseur. La voila enfin habillée, et voila mon tour.

J’ote vite mes culottes malgré qu’elle vouloit que je les gardasse ; elle doit elle même me passer sa chemise, puis une jupe ; mais tout d’un coup, devenue coquette, elle se fache de ce que je ne lui cache pas le trop visible effet de ses charmes, et elle se refuse à un soulagement qui dans un instant m’auroit calmé. Je veux lui donner un baiser, elle ne veut pas ; à mon tour je m’impatiente, et malgré elle les eclaboussures de mon incontinence paroissent sur la chemise. Elle me dit des injures, je lui répons, et je lui démontre son tort ; mais tout est inutile ; elle est fachée ; mais elle dut cependant achever son ouvrage finissant de m’habiller.

C’est evident qu’une honète femme qui se seroit exposée vis à vis de moi à une pareille aventure auroit eu des intentions tendres, et ne se seroit pas dementie dans le moment qu’elle m’auroit vu les partager ; mais les femmes de l’espece de Juliette sont dominées par un maudit esprit qui les rend ennemies d’elles mêmes. Juliette se trouva attrapée quand elle vit que je n’étois pas timide. Ma facilité lui parut un manque de respect. Elle auroit voulu me voir voleur de quelques faveurs qu’elle m’auroit accordées fesant semblant de ne pas s’en apercevoir. J’aurois trop flatté sa vanité.