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Sûr de ne pas le trouver à la maison à cette heure là, j’ai sonné, et j’ai entendu, et connu la voix de ma (sa) sœur qui me dit que si je voulois le trouver je devois y aller le matin. Je suis alors allé m’asseoir au pied du pont pour voir de quel coté il entroit dans la rue. Je l’ai vu venir un un quart d’heure avant minuit du coté de la place S. Paul. N’ayant pas besoin d’en savoir d’avantage, je suis allé rejoindre mon bateau, et je suis retourné au Fort rentrant par la même fenetre sans la moindre difficulté. À cinq heures du matin tout le monde m’a vu me promener par le Fort.

Voici toutes les mesures, et les precautions que j’ai prises pour assouvir ma haine contre le boureau, et pour me mettre dans la certitude de prouver l’alibi s’il m’arrivoit de le tuer comme j’en avois l’envie.

Le jour precedent la nuit concertée avec Blaise, je me suis promené avec le jeune Alvise Zen fils de l’adjudant qui n’avoit que douze ans ; mais qui m’amusoit beaucoup par ses fines friponneries. Dans la suite il devint fameux jusqu’à ce que le gouvernement l’a envoyé demeurer à Corfou il y a vingt ans. Je parlerai de lui dans l’année 1771.

Me promenant donc avec ce garçon, j’ai fait semblant de me donner une entorce sautant à bas d’un bastion. Je me suis fait porter dans ma chambre par deux soldats, et le chirurgien du Fort me soupçonnant une luxation me condamna au lit après m’avoir appliqué à la cheville des serviettes imbibées d’eau camphrée. Tout le monde vint me voir, et j’ai voulu que mon soldat me