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La nuit étant des plus froides, et n’ayant pas de feu, je lui ai dit de se mettre au lit, et d’etre sûre que je la respecterois. Elle me repondit qu’elle ne se croyoit en état que de faire pitié, et que d’ailleurs elle étoit entre mes mains, et que j’étois son maitre. Ayant besoin de gagner du courage, et de procurer à son sang un libre cours, je l’ai persuadée à se deshabiller pour se mettre sous les couvertures. Étant destituée de force j’ai dû la deshabiller moi même, et la porter au lit. À cette occasion j’ai fait une nouvelle experience sur moi meme. Ce fut une decouverte. Sans nulle difficulté j’ai resisté à la vue de tous ses charmes. Elle s’endormit, et moi aussi à coté d’elle ; mais tout vetu. Un quart d’heure avant jour, je l’ai reveillée, et se trouvant en force, elle n’eut pas besoin que je l’aidasse à s’habiller.

À la premiere lueur du jour je suis sorti, lui disant d’être tranquille jusqu’à mon retour. Je sortois avec intention d’aller chez son pere ; mais j’ai changé d’avis d’abord que j’ai vu des mouches. Je suis allé au caffè de la rue Condotta me voyant suivi de loin. Après avoir pris une tasse de chocolat, j’ai mis des biscuits dans ma poche, et je suis retourné à l’hotel, me rémarquant toujours suivi par le meme espion. J’ai alors connu que le bargello qui avoit manqué sa capture devoit batir sur des soupçons. Le portier me dit sans que je l’interroge, que dans la nuit on avoit voulu faire une execution, mais qu’il croyoit qu’on l’avoit manquée. Dans le meme moment un auditeur du cardinal Vicaire demanda au portier à quelle heure il auroit pu parler à l’abbé Gama. J’ai alors vu qu’il n’y avoit plus tems, et je suis remonté à ma chambre pour prendre un parti.

Après avoir obligé Barbaruccia à manger deux biscuits trempés dans du vin de Canaries, je l’ai conduite au plus haut du palais dans un endroit indecent ; mais où n’alloit personne. Je lui ai dit d’attendre là mes avis, puisque mon laquais alloit sûrement arriver. Il arriva quelques minutes après. Je suis alors descendu chez l’abbé Gama, où je lui ai lui ordonnant de me porter la clef de ma chambre d’abord qu’il en auroit fait tout le service.

J’ai trouvé l’abbé qui parloit à l’auditeur du cardinal vicaire. Après lui avoir parlé, il vint à moi, et il ordonna d’abord du chocolat. Pour me dire ensuite quelque chose de nouveau, il me rendit compte du message du cardinal vicaire. Il s’agissoit de prier son Eminence de faire sortir de l’hotel une personne qui devoit s’y être refugiée vers minuit. Il faut attendre, ajouta l’abbé, que le cardinal