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que j’ai fait semblant de trouver passables, et Jean ne me fit rien voir : il me parut bête. Les autres étoient encore en jaquette.

À souper, le docteur assis près de ma mere fut fort gauche. Il n’auroit jamais prononcé un seul mot si un anglois homme de lettres ne lui eut adressé la parole en latin. Il lui répondit modestement qu’il n’entendoit pas la langue angloise, et voila un grand éclat de rire. M. Baffo nous tira d’embarras nous informant que les anglois lisoient le latin selon suivant les lois qu’il faut observer pour lire de l’anglois. J’ai osé dire qu’ils avoient tort autant que nous l’aurions lisant l’anglois comme si nous lisions du latin. L’anglois ayant trouvé ma raison sublime écrivit ce vieux distique, et me le donna à lire —

Dicite gramatici cur mascula nomina cunnus,
Et cur femineum mentula nomen habet.

Après l’avoir lu tout haut, j’ai dit que pour le coup c’étoit du latin. Nous le savons, me dit ma mere, mais il faut l’expliquer. Je lui ai dit qu’au lieu de l’expliquer, c’étoit une question à la quelle je voulois répondre ; et après y avoir un peu pensé j’ai écrit ce pentametre. — Disce quod à domino nomina servus habet.

Ce fut mon premier exploit litteraire, et je peux dire que ce fut dans ce moment là qu’on sema dans mon ame l’amour de la gloire qui depend de la littérature, car les applaudissemens me mirent aux faites du bonheur. L’anglois étonné, après avoir dit que jamais garçon à l’age de onze ans en avoit fait autant, me fit present de sa montre après m’avoir embrassé à reprises. Ma mere curieuse demanda à M. Grimani ce que ces vers signifioient ; mais n’y comprenant pas plus qu’elle ce fut M. Baffo qui lui dit tout à l’oreille : surprise alors de ma science elle ne put s’empecher d’aller prendre une montre d’or, et de la presenter à mon maitre qui